Actus
« L’euthanasie n’est pas un acte d’amour »
Alors que Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, souhaite réexaminer « avant la fin de l’année » le projet de loi sur la fin de vie – interrompu par la dissolution de l’Assemblée en juin – Claire Dierckx fait entendre sa voix. Dans « L’Amour coûte que coûte », qui vient de paraître, cette jeune trentenaire belge atteinte d’une maladie neurodégénérative témoigne de l’euthanasie de son père. De passage à Paris, la jeune femme et son mari se confient dans un entretien croisé.
Ombres & Lumière – Pourquoi avoir voulu écrire ce livre ?
Claire Dierckx – Je témoigne déjà beaucoup dans des conférences, à la presse, dans des podcasts. Des proches m’ont dit qu’il serait bon qu’existe une trace écrite qui puisse circuler. J’ai fini par accepter. Je me suis fait aider d’Inès de Warren. Elle a mis en forme ce que je lui racontais. Je relisais, mon mari aussi, et, ça a mis longtemps mais on a fini par accoucher de ce bébé !
Marc Jansegers– Claire est très intuitive. Ses formules font mouche à l’oral mais il fallait réussir à cadrer sa pensée. Cela a été source d’épuisement pour Claire. Combien de fois a-t-elle été tentée d’abandonner ? Tous les deux, nous nous sommes rencontrés lors d’un témoignage qu’elle donnait en Belgique. Le jour même, elle avait hésité à s’y rendre car elle était très fatiguée. Mais depuis le début, Claire parie sur la vie. Notre rencontre, puis notre mariage en septembre 2023, en est le fruit concret. Je suis touché par le retour de personnes qui nous confient que notre seule présence en couple vaut tous les témoignages. Ce qui nous engage à une cohérence de vie, à l’image du Christ. Avant chaque rencontre, on essaie de se le rappeler. Dieu parle à travers nos vies. C’est Lui qui nous précède.
Comment le livre a-t-il été accueilli ?
Claire Dierckx – Beaucoup de personnes ayant lu le livre sont touchées sans être forcément concernées d’aussi près par l’euthanasie comme je le suis. Mon témoignage les rejoint par ce qu’il dit de la souffrance et de la vulnérabilité humaine. Les échanges les plus difficiles sont avec ceux dont le proche malade demande à mourir. Ils sont souvent épuisés, la tentation de jeter l’éponge est présente. Je sais ce que c’est car mon père était très dur avec nous. Les proches portent beaucoup. Mais ce n’est pas la solution.
Claire, vous vous êtes mariée il y a un an, vous avez de la famille, des amis… Vous avez l’air bien entourée. Ce n’est pas le cas de toutes les personnes qui souffrent. Que dire à ces personnes qui veulent en finir ?
Claire Dierckx– Oui, la souffrance isole, c’est un fait. On peut être très bien entouré et se sentir extrêmement seul. Moi-même, je me sens incomprise à de nombreux moments. C’est un réel acte à poser que de ne pas s’isoler, de continuer à s’ouvrir pour recevoir l’amour des autres. Mon père, qui était très entouré, a fait le choix inverse. Il avait une vie sociale riche mais, avec la maladie, il s’est peu à peu renfermé. Comprendre cela m’a aidé à pardonner mon père. Dans l’Eglise, on parle beaucoup de donner mais recevoir est aussi très important. C’est ce qu’un prêtre m’avait dit : « Claire, quand tu demandes de l’aide, tu donnes la possibilité à quelqu’un de se donner ». C’est ainsi qu’il faudrait repenser les choses ! Beaucoup de personnes demandent l’euthanasie par crainte d’être un poids pour leurs proches, cela se comprend parfaitement. C’est si difficile de demander de l’aide. Marc m’épaule beaucoup au quotidien. Cela peut paraître déséquilibré, mais je suis aussi un soutien pour lui, autrement. Cela me fait penser à sainte Bernadette de Lourdes. Pour l’intimider, une sœur de sa communauté religieuse lui avait demandé si elle n’en avait pas marre d’être un poids pour les autres. À cette attaque, elle avait rétorqué : « Pour qu’une pendule fonctionne, il faut bien qu’elle ait un poids ! » Au-delà du bon mot, je trouve ça éclairant pour notre société individualiste.
Marc, en vous mariant avec Claire, vous acceptiez ce rôle de mari et d’aidant. Quelle proximité avec la souffrance ou le handicap aviez-vous ?
Marc Jansegers – Avant de la rencontrer, j’ai eu une vie assez chamboulée. Un divorce, une foule de métiers différents, je me suis converti, j’ai eu d’importants problèmes de santé, ai frôle la mort… Bref, j’ai erré. J’ai aussi vécu beaucoup d’expérience d’accompagnement de personnes très différentes. Certaines ont fait des tentatives de suicide, d’autres étaient en proie à des addictions, d’autres encore en fin de vie… Toutes ces rencontres m’ont appris à rejoindre les personnes là où elles sont. Je me souviens avoir accompagné un mari en fin de vie à cause d’un cancer. Il était de plus en plus dépendant et devenait très sec avec sa femme, tout entière dévouée à lui. Ses fils en étaient blessés et soutenaient beaucoup leur mère, s’éloignant de leur père. Ma présence, sans le vouloir, a fait évoluer les choses. Une amitié simple est née entre cet homme et moi. Cela a dû agacer ses fils, qui ont voulu – peut-être par orgueil au départ ! – renouer avec leur père. Leur relation s’est améliorée, puis ça a rejailli sur le couple. Les angoissent de la mort étaient toujours présentes mais de très belles choses ont pu être dites dans cette famille avant que cet homme ne meure.
Quand j’ai rencontré Claire, je me souviens avoir été émerveillé par sa force. Elle était très inspirante. Mais je ressentais aussi toute sa colère. J’ai tout de suite vu en elle quelqu’un qui aspirait à l’essentiel. Nous avons d’abord vécu une amitié spirituelle forte, qui s’est, au fil des mois, transformée en amour. Je me souviens qu’elle m’ait dit : « Si j’apprends à t’aimer, c’est pour toujours ! » Cette radicalité dans sa perception de l’existence m’a tout de suite parlé.
À la fin de ce livre, vous publiez le mail que vous avez adressé à la médecin qui a pratiqué l’euthanasie de votre père, la Dr. Corinne Vaysse-van Osst. Pourquoi avoir voulu lui écrire et comment avez-vous reçu sa réponse ?
Claire Dierckx – J’ai mis des jours à l’écrire ! J’en avais besoin car au moment où a eu lieu l’euthanasie de papa, je n’ai pas réussi à dire tout ce que j’avais sur le cœur. Une colère était encore très présente, j’avais besoin de lui exprimer cela. J’étais un peu déçue, elle m’a répondu à peine quelques heures après de façon assez laconique. Ce qui me heurte, c’est cette fausse compassion dont elle use. Pour elle, l’euthanasie est un acte d’amour. Cette confusion est malsaine. Elle se dit ouvertement chrétienne mais ce n’est pas suivre le Christ que de pratiquer une euthanasie !
Cela fait plus de vingt ans que l’euthanasie est légalisée en Belgique. Y a -t-il encore des espaces de débat possibles ?
Claire Dierckx – C’est sûr que lorsqu’on ouvre une porte, il est difficile de la refermer. En Belgique, il y l’idée que « si c’est légalisé, c’est comme ça » Les gens ne se posent plus trop la question. Et peu à peu, l’idée s’installe que si l’on vieillit et que l’on devient dépendant, pourquoi continuer à vivre ? C’est la suite logique de la légalisation de l’euthanasie. Heureusement, il existe encore des lieux pour s’exprimer mais j’ai un peu cette impression d’être seule à crier dans le désert.
Recueilli par Guillemette de Préval – 23 septembre 2024
- Editions du Cerf, 15€, 96 pages