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Elisabeth Segard, l’humour en toutes lettres

Elisabeth Segard
© Emmanuelle Ollivry

Auteur de « Si fragiles et si forts », un récit truffé de péripéties aussi trépidantes que sa vie, Élisabeth Segard vient d’être récompensée dans la catégorie Meilleur Roman par le prix Handi-Livres (1). Ombres & Lumière était parti cet été à la rencontre de cette optimiste de nature, qui a écrit sept livres et exercé cinq métiers différents, malgré la malformation de ses bras.

« Une nuit, j’ai dormi tout habillée avec ma robe années 50. J’avais oublié que je ne pouvais pas la dégrafer toute seule et mon mari était en mer », se souvient l’écrivain Élisabeth Segard, dans un éclat de rire argentin, au milieu de son jardinet, à Tours. Des désagréments dus à son handicap congénital, elle ne mentionne pas spontanément son impossibilité de conduire ou de jouer de la guitare. Ses yeux, ourlés de noir, manifestent une détermination enjouée, tandis qu’elle passe vite sur sa timidité d’enfant, les moqueries, la solitude. « J’ai grandi avec l’idée que le handicap te freine, mais ne t’empêche pas d’avancer. » Les ongles impeccablement vernis, elle allume une cigarette avec nonchalance puis s’anime en évoquant son premier roman. Les pépètes du cacatoès frisent les 9 000 exemplaires vendus. À 10 000, on parle de best-seller. Ce succès puise, entre autres, dans les trésors de son enfance.

Quarante-six ans plus tôt, Élisabeth Segard naît dans un Liban à feu et à sang. Ses mains ne comptent que cinq doigts au lieu de dix, et ses bras sont atrophiés. Il s’agit d’une probable conséquence de la Thalidomide – médicament interdit aujourd’hui, mais alors prescrit aux femmes enceintes sujettes aux nausées. Après trois mois dans un orphelinat, elle est adoptée en France et hérite, en plus de deux grands frères, de sérieux atouts pour affronter la vie : fantaisie paternelle, goût pour la lecture, foi inébranlable en Dieu. « Mes parents n’ont jamais dit ‘tu ne vas pas y arriver’, évoque-t-elle. Ils m’encourageaient à essayer, même le vélo ! Après de belles gamelles et trois années de persévérance, j’ai fini par raccrocher le guidon. Trop mal au dos, avec mes bras de longueur inégale. Mais j’avais tenté ! »

Une plume alerte

Sa sœur Bernadette, née un peu moins de quatre ans après elle, lui est toute proche. Avec cette joyeuse complice en fauteuil roulant, Élisabeth fourbit son sens de l’humour. « On rit bien toutes les deux, commente la benjamine, mais, au-delà de ça, ma sœur, c’est mon poumon, mon pilier. J’admire ses talents – notamment d’écriture – et sa grande intégrité ».

La plume d’Élisabeth gagne en aisance lors d’études en histoire. Puis elle se lance dans une boulimie de métiers divers, d’assistante de direction à créatrice d’accessoires pour bébé, chargée d’assistance dans une compagnie d’assurance ou journaliste. C’est grâce à Stanislas, aujourd’hui son mari, qu’elle plonge à plein dans l’écriture. En 2017, il lui lance le défi d’être publiée avant lui. Il n’en faut pas moins pour motiver Élisabeth, dont les livres regorgent de pointes facétieuses. Dans Une certaine idée du paradis, alors que la truculente Violette, quatre-vingts printemps, est mêlée à de folles aventures, l’écrivain glisse cette note : « Nous sommes dans un roman, et l’auteure a le droit de partir en vrille, sinon elle écrirait des documentaires pour Arte. » Ce ton devient sa marque de fabrique.

Aujourd’hui à la tête d’une collection de romans d’histoire pop’ chez Eyrolles, elle fourmille de projets et s’autorise aussi bien la vulgarisation de l’Histoire que le polar. À venir, l’écriture d’un ouvrage sur le cimetière du Montparnasse, pour lequel elle a décroché une bourse CNL2.

Mais qui dit publication, dit promotion. Depuis l’édition de ses manuscrits, Élisabeth est invitée sur les plateaux de télévision. Elle s’expose. Cela signifie se libérer du regard des autres : « Le handicap est quelque chose de laid en général, sauf pour la victoire de Samothrace (sculpture antique sans tête ni bras, au Louvre, ndlr) Tu renonces à un idéal de beauté et d’efficacité. » Ses pupilles se voilent. « J’ai traversé des moments très durs, dont un burn-out, concède-t-elle. La société n’imagine pas que des parents porteurs de handicap désirent, eux aussi, des enfants, alors que c’est possible avec un peu de soutien. Parfois, il suffit d’un simple coup de pouce pour donner un bain ou accompagner à une activité. La première aide de la CAF pour parents handicapés n’existe que depuis trois ans ! »

Dans son roman Si fragiles et si forts, elle pointe la manière dont sont traitées les personnes porteuses de handicap à l’hôpital des Invalides. « Un lieu magnifique où tu es considéré comme un homme ou une femme, avec tes rêves. Un monde d’espérance. »

Une foi discrète

Pour elle, cette espérance repose en Dieu, « central » dans sa vie. « Je ne pourrais pas vivre sans Lui. » La main sur une médaille de la Vierge pendue à son cou, elle évoque sa vie de prière, occasionnelle. « Je ne comprends pas toujours les projets divins, tempère-t-elle. Mais parfois, ça s’éclaire. Sans harcèlement au boulot, je n’aurais pas changé de métier, ni investi l’écriture. » Sa voix devient grêle. Elle marque une pause, puis : « C’est d’être aimé qui rend la vie supportable. Par mes livres, je veux faire passer un bon moment aux lecteurs. Rendre les autres heureux. C’est ça le message de Jésus, non ? Il est à la portée de tous. »

Certes, ses romans policiers étrillent un certain abbé Marcel, également menuisier, qui remplit son église via un drôle de troc « artisanat contre messe » : je te fais un meuble, tu me payes en prières. Mais Élisabeth Segard souligne surtout sa bonté de curé de campagne, inspirée par le frère de sa mère : « Il s’autorisait à pester contre les mesquineries de ses fidèles […] puis se disait que bien des bonnes actions lui échappaient et que Dieu, qui avait une meilleure vue, reconnaîtrait les siens. »

Emmanuelle Ollivry, ombresetlumiere.fr

(1)  Pour sa 15e édition, le Prix Handi-Livres a soumis à un jury composé de professionnels du handicap, de journalistes et d’animateurs d’ateliers d’écriture, une sélection de trente ouvrages répartis dans 6 catégories en lice et un coup de cœur. Le 30 novembre, le jury a rendu ses résultats lors d’une cérémonie à la Philarmonie de Paris. Pour les résultats complets, voir ICI.

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