Actus
Marcher pour reprendre son souffle
Six jeunes adultes souffrant de maladies psychiques, accompagnés d’un proche, ont parcouru une centaine de kilomètres sur les sentiers côtiers du Morbihan. Cette randonnée itinérante, organisée par l’association Colina, permet à tous de reprendre pied et de renforcer les liens sociaux dans un climat bienveillant.
La journée s’annonce radieuse sur la presqu’île de Rhuys, au bord de l’Atlantique. Le petit groupe s’engage d’un bon pas dans un bois de pins. L’objectif de ce quatrième jour de marche est fixé à 18 kilomètres ! La randonnée est portée par l’association Colina, créée en octobre 2022 par Laurence Reckford, concernée par le sujet de la santé mentale dans son entourage. « Colina a pour but la remise en mouvement de jeunes adultes de 18 à 35 ans se rétablissant de troubles psychiques, explique la fondatrice. L’association s’articule autour de trois dimensions : l’activité physique, le lien social et la nature. Nous voulons redonner espoir à ces jeunes, souvent fragilisés au début de leur vie d’adulte. » Les participants s’inscrivent en binôme avec un proche, pour renforcer les liens et vivre une expérience forte. Ils viennent de toute la France.
Concentrée sur son GPS, Claire, la cinquantaine énergique, accompagne sa fille Marie*, 25 ans. Elle organise la randonnée avec Bénédicte, qui marche avec Côme, son fils de 29 ans. « J’apprécie de sortir de ma routine, de décrocher du téléphone, des tracas, de mon confort pour me retrouver dans une nature magnifique et créer de nouveaux liens, savoure Bénédicte. Et nous vivons de bons moments ensemble, Côme et moi ! »
Le jeune homme, colosse à la force tranquille, raconte le ressourcement que lui procure cette semaine sportive : « Marcher m’aide à mieux respirer, à gérer mes angoisses, observe-t-il en souriant. Physiquement, cela me fait un bien fou : mon corps est revigoré, stimulé. Je reprends confiance en moi. » Sa mère glisse : « Les randonnées précédentes l’ont fait gagner en autonomie et en sérénité. Il voit qu’il peut trouver un certain équilibre, qu’il est capable. »
Le sentier s’étire à présent entre mer et marécages. Marie, petit bout de femme volubile, souffle et ralentit. Une année difficile, une prise de poids importante et le manque d’entraînement n’ont pas entamé sa motivation : « Seule, je ne marcherais jamais 20 kilomètres, et encore moins plusieurs jours d’affilée ! avoue-t-elle. Mais il y a beaucoup de bienveillance, de respect et de solidarité dans ce groupe, c’est ce qui me pousse à tenir. Je réalise que je suis capable de me dépasser, que je peux aussi gravir les montagnes de mon quotidien. » Marie relate la souffrance de la maladie psychique, l’incompréhension des amis, l’isolement, la difficulté à cerner sa propre identité. « Les liens sociaux sont très importants dans la maladie. Il faut avoir des personnes autour de soi, sinon on coule. Ici, on est ensemble une bonne partie de la journée, et en marchant, on a le temps de beaucoup échanger. »
Pendant le pique-nique, commentaires et rires fusent dans une atmosphère paisible. Avec sa faconde méridionale et sa bonne humeur, Luis sait alléger les moments de fatigue ou de stress. Attentif à chacun, il veille à ce que personne ne reste en arrière. Ses retrouvailles avec son fils Pacôme, un solitaire qui habite à 800 kilomètres et qu’il voit peu dans l’année, sont une joie.
Les marcheurs quittent la côte et s’enfoncent dans la forêt. En tête, Pascal tient la main de Prisca, 20 ans, dont les couettes marquent la cadence. « Nous nous sentons en confiance dans ce groupe, sans peur du regard de l’autre, sans besoin de nous justifier : nous sommes tous concernés par la maladie et nous avons tous traversé des moments difficiles à cause d’elle, souligne-t-il. La maladie de Prisca a été un tremblement de terre pour nous, c’est très dur ! Trouver des lieux où en parler est important. Ici, nous sommes détendus. On peut discuter ou rester en silence, réfléchir, être une présence à l’autre. » Prisca a le moral, fière des efforts accomplis pour relever le défi. « J’ai l’impression de retrouver une vie normale, souffle-t-elle. Depuis trois ans, toutes mes activités sont axées sur ma maladie. C’est bien de prendre de la distance ! Ici, je me sens accueillie et acceptée comme je suis. Je peux vraiment être moi-même, les autres me comprennent. »
Heureuse de passer cette semaine avec son père, elle l’entraîne en courant sur la grande plage et plonge dans la mer avec lui, bientôt suivie par le groupe, enchanté de cette halte rafraichissante. Estelle, seule, goûte un moment de solitude. « Je n’aime pas rencontrer les gens autour de la maladie, confie-t-elle. Mais cette semaine, nous ne sommes pas réduits à notre étiquette de malade. Que nous soyons atteints de troubles psychiques ou parents, nous sommes avant tout des personnes humaines qui dépassent ensemble les difficultés physiques et les contraintes de la marche. C’est un vrai changement de regard. »
Pour arriver au camping où ils vont passer la nuit, les randonneurs marchent pieds-nus sur le sable. Détendus, ils avancent en vainqueurs, comme pour dire aux estivants qui paressent au soleil : « Nous avons réussi cette journée de marche et nous en sommes fiers. »
Solange du Hamel
*Le prénom a été modifié.