Restons poly

Mon corps a dit stop

un homme fatigué.
© Istock.

Caroline, mon épouse préférée, m’a expliqué que c’est juste mon cerveau qui a cramé… !

Un jour, plus rien ne va. Tout vous gonfle. Tout devient problème insurmontable. Grosse fatigue, malaise général, envie de rien, besoin de silence, de ne plus voir personne, de dormir.

Cela fait longtemps que cela couvait. Nous sortons d’une longue période où Marie Océane a été très souvent avec nous. Accueillie la journée à l’Arche pendant la semaine, nous la récupérions tous les soirs et tous les week-ends. L’impression d’être pris dans un tourbillon qui jamais ne se calme. Tourbillon assumé, car s’occuper de notre Marie Océane, 100% dépendante mais qui nous gratifie de ses sourires et de sa joie, nous réchauffe le cœur.

Mais avec l’âge, le corps fatigue. Et puis ses séjours répétés en urgence à l’hôpital, en réanimation pour des graves dégradations de son état de santé, nous détruisent à vitesse grand V. Et ce d’autant plus que nous sommes obligés de lutter pour que l’hôpital accepte de nous voir comme des aidants qui savent décoder les signes non verbaux de Marie Océane et ne nous éjecte pas de sa chambre comme ils ont essayé de le faire alors qu’ils n’ont ni les moyens techniques ni humains pour la surveiller, et que, si nous la laissons dans cet état, elle ne survivra pas 24h !

À chaque fois nous vieillissons en accéléré et aurions besoin de plusieurs mois pour récupérer… que nous n’avons pas. Rajoutez à cela qu’en même temps, nous avons traversé une période très pénible avec mon opération à cœur ouvert, les épisodes COVID, le boulot avec une OPA réussie contre notre société, bref une période de cumul de stress important.

Beaucoup de personnes m’avaient dit : « On se demande comment tu tiens avec tout ce que vous vivez ».En fait, on tient parce qu’il faut tenir, parce qu’on n’a pas le choix. On sent bien que le corps et l’esprit fatiguent mais on refuse de s’écouter.

Et c’est au moment où tout semble se calmer, où Marie Océane a enfin une place en internat, qui nous permettra de nous reposer et de nous reconstruire, que mon corps a dit stop. Bizarre. C’est comme si cela ouvrait une brèche dans la digue que j’avais bâtie autour de moi pour ne pas couler et que la vague s’engouffrait pour me submerger. C’est comme si mon cerveau avait vu là une planche de salut et m’a obligé à y concentrer toute mon énergie vitale pour survivre et me reconstruire.

Et il faut que je me dépêche car pour l’instant c’est Caroline qui trinque…

Pourquoi je vous raconte tout cela ? Parce que quand on est jeune, on se sent fort, on se sent équilibré, bien dans sa vie, malgré les épreuves. Et puis on accumule, on encaisse, on accepte des engagements extérieurs qui en rajoutent. On sait qu’il faut s’aménager des plages pour souffler mais on est pris par le tourbillon de la vie. Et puis, un jour le tourbillon devient tornade…

Alors le burn-out n’est pas réservé aux parents d’enfants handicapés, mais c’est un facteur aggravant et il faut apprendre à dire stop, à se protéger pour protéger son couple, sa famille. Parce que, de nos jours, on demande souvent encore plus à ceux qui donnent déjà beaucoup.

Hubert Saillet, ombresetlumiere.fr – 6 septembre 2022

Portrait d'Hubert

Hubert Saillet est père de cinq enfants, dont Marie Océane, qui est polyhandicapée. Il est membre, avec son épouse, d’une communauté Foi et lumière à Compiègne (Oise).

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