Dossier
« Mon fils aime être reconnu en tant qu’homme »
Emmanuel Ménager est le secrétaire général des Chevaliers de Colomb, une confrérie d’hommes qui se réunissent pour partager des temps de spiritualité, de service et de convivialité. Également père de Louis-Bernard, jeune trisomique de 25 ans, il évoque combien la vulnérabilité est une richesse pour lui et les autres hommes.
Ombres & Lumière – Que vivez-vous entre hommes au sein des confréries ? Y a-t-il une place pour la fragilité et le handicap ?
Emmanuel Ménager – Tout le monde a quelque chose à donner, chaque homme est le bienvenu. Nous nous réunissons une fois par mois. On prie ensemble, puis on choisit les projets que nous voulons mener entre nous : des maraudes, un accueil pour des femmes enceintes précaires, la restauration d’un calvaire, l’organisation d’un pèlerinage… C’est très divers, on sollicite le talent des uns et des autres. Il y a une trentaine de groupes en France. Lorsque j’habitais à Garches, l’un des chevaliers était paraplégique. Il avait eu un accident de moto. Cet homme avait un sens incroyable du contact. Il avait un immense sourire, il parlait avec tout le monde. Dans mon groupe actuel, deux hommes sont en très grande souffrance. Par leur prière, leur présence, ils sont pleinement avec nous. Ils nous permettent d’exprimer une belle solidarité les uns les autres. Dans ces groupes, on apprend à se remettre entre les mains du Seigneur, à laisser sa grâce nous guider.
O&L – Avec votre épouse, vous avez adopté Louis-Bernard, jeune homme porteur de trisomie 21, aujourd’hui âgé de 25 ans. Que vous a-t-il appris en tant qu’homme ?
E.M. – Louis-Bernard, c’est mon éducateur à l’amour. Notre relation est enracinée dans la vérité et le don. Il nous apprend à voir dans l’autre quel est le secret de la personnalité de l’autre. Chaque matin, grâce à lui, j’essaie d’être dans l’ouverture à ce qui le rend heureux. Ce n’est pas facile tous les jours bien entendu. Des choses m’échappent et m’échapperont toujours, mais lorsque je trouve une clef de compréhension, il manifeste une joie surprenante ! Comme chacun, il a des préférences clairement exprimées. La crème de marrons, par exemple, il en raffole !
Louis-Bernard est très attiré par le Christ et la Vierge Marie. En Vendée, où nous habitons, il aime rendre service pour le nettoyage de l’église avec une autre jeune fille trisomique. Le prêtre les a surnommés « les missionnaires de Notre-Dame de propreté » ! Un jour, lors d’un temps de prière familiale, il a ouvert la Bible, commencé à lire « En ce temps-là… » puis, d’un coup il, a fermé le livre et a dit fortement : « Amour ! », et s’est arrêté de parler. Tout était dit. Ça a beaucoup marqué ses quatre frères et sœurs. Il prie beaucoup pour les autres aussi.
O&L – Votre fils fait lui aussi partie de la confrérie des Chevaliers de Colomb. Qu’aime-t-il vivre là-bas et qu’apporte sa présence aux autres hommes ?
E.M. – Au départ, Louis-Bernard m’accompagnait simplement. Un jour, je lui ai proposé de devenir membre de la confrérie. Il a accepté immédiatement ! Il a été bien accueilli. Lorsqu’il revêt sa doudoune de chevalier, ça signifie pour lui qu’il se met en service. Même s’il ne peut pas tout faire, c’est cette disposition-là qui importe. Lorsqu’il y a des tables et des chaises à déplacer par exemple, malgré sa grande fatigabilité, il aime y contribuer. Ça le rend heureux, il voit qu’il contribue à la vie du groupe. Souvent, il me dit : « Papa, je suis un homme ! », et c’est très important qu’il ait des moments pour exprimer son identité masculine. Louis-Bernard a cette capacité à sentir le besoin d’autrui. Un jour dans notre paroisse, un chevalier de notre groupe était en grande difficulté. Louis-Bernard n’en savait rien et, spontanément, il est allé se mettre à côté de lui. Cela lui arrive souvent, pendant la messe, d’aller s’asseoir à côté de quelqu’un dont il pressent un besoin de présence. Il a une profonde ouverture du cœur. Il nous rend hommes. Grâce à lui, les hommes de mon groupe ont découvert cette joie de se mettre en présence d’une personne fragile, sans appréhension. Il nous apprend que nous ne sommes forts que dans la capacité à accueillir la vulnérabilité et l’humanité de l’autre.
Recueilli par Guillemette de Préval, ombresetlumiere.fr – 4 mars 2024
Qui sont-ils ?
Présente en France depuis bientôt 10 ans, la confrérie internationale des Chevaliers de Colomb est animée depuis sa fondation par un compagnonnage fort avec la vulnérabilité des hommes. Engagés auprès de la promotion de toute vie humaine, ils accueillent en leur sein de nombreux membres touchés par un handicap. Leurs trois champs d’action sont l’animation de fraternités d’hommes mobilisés autour de leur paroisse, la gestion d’une compagnie d’assurance-vie, le développement de projets caritatifs et missionnaires. La devise de la confrérie est « Au service de l’un, au service de tous ».