Sur les lèvres
Nos corps imparfaits
Christ est ressuscité, alléluia ! L’église est dans la pénombre, éclairée par la simple lumière des bougies. Alors que la lumière revient, on aperçoit Théophile, jeune homme trisomique de 20 ans, qui, pendant l’offertoire, accompagne les chants de la chorale par de grands gestes avec ses bras, comme s’il était le chef d’orchestre. Devant lui, dans l’assemblée, un jeune garçon de 10 ans, émerveillé, rit en silence devant les blagues de celui qui se trouve être son grand frère.
La spontanéité et l’humour de Théophile provoquent une cascade de sourires. La joie apparaît sur les visages un peu endormis. Je repense alors à l’histoire de Claire Émérentienne, surnommée Claire-Aime, jeune femme trisomique décédée à l’âge de 28 ans en 2014, dont j’ai découvert la vie le 21 mars à l’occasion de la Journée mondiale de la trisomie 21.
Animée d’une joie surnaturelle et dotée d’un regard profond, je n’ai pu m’empêcher d’être touchée par son histoire. Quelques mois après sa mort, l’ouverture d’un procès en canonisation avait été entamée. Vous imaginez ? Une sainte pour les personnes en situation de handicap ! Je rêve que l’Église reconnaisse plus de saints trisomiques, sourds, aveugles – on a effectivement sainte Odile, mais qui a bénéficié d’un miracle – en fauteuil roulant, touchés par un handicap mental ou psychique.
Une question me taraude… Qu’en sera-t-il de nos corps une fois ressuscités ? Garderont-ils la marque du handicap comme le Christ a gardé les stigmates de sa Passion ? Enfant, je rêvais de pouvoir entendre, et joindre ma voix à celles de ma mère et de mes frères. Et en fait, la réponse est limpide. Nos corps ressuscités garderont peut-être le souvenir de nos marques sur Terre, mais ils ne seront plus freinés par ceux-ci. Imagine-t-on ceux qui sont la proie de tourments intérieurs continuer à être la cible de leurs angoisses une fois au Ciel ? De même, celui qui est paralysé par sa timidité, sera-t-il toujours bloqué par celle-ci une fois ressuscité ?
Les anxieux seront apaisés, les timides seront joyeux. L’Évangile parle des boiteux qui danseront. En attendant le jour où nos corps imparfaits deviendront glorieux, je remercie Dieu pour la joie de nos frères et sœurs « gourmands en chromosomes », selon les mots d’Alice Drisch, mère d’un jeune Isaac, qui nous élèvent. Grâce à eux, nous avons déjà un aperçu du royaume des Cieux. Belle octave de Pâques !
Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 3 avril 2024
Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.