Dossier
« Notre amitié est un cadeau du Seigneur ! »
Marie-Vincente Puiseux, ancienne directrice de la rédaction d’Ombres & Lumière, partage depuis plus de trente ans une amitié avec Marie-Christine Poinat, qui porte un léger handicap mental et vit dans un foyer à Paris. Dialogue complice à bâtons rompus.
Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Marie-Vincente Puiseux : On se connaît grâce à Foi et Lumière depuis plus de trente ans. J’ai rejoint une communauté en 1978, Notre-Dame de l’Arc en Ciel, basée sur la paroisse Saint François Xavier à Paris.
Marie-Christine Poinat : Moi, j’ai commencé Foi et lumière avec le grand pèlerinage de 1991.
Marie-Vincente, quelle était ta démarche ?
MV : Quand j’avais 15 ans, je suis devenue amie avec des enfants porteurs de handicap, en dehors de toute structure. Puis, étudiante en philo, j’ai rencontré Marie-Hélène Mathieu, qui m’a fait découvrir Foi et Lumière et l’Arche. Je suis allée à Foi et Lumière, et j’y suis restée. Avec une de mes amies, on a fait venir nos propres amis. C’est vite devenu chaleureux et vivant. J’ai ensuite quitté cette communauté pour créer, avec d’autres, une communauté de jeunes enfants.
MC : Moi, c’est Bertrand, une personne comme moi, qui m’a invitée à rejoindre Foi et Lumière. Je suis passée par plusieurs communautés dans Paris. En ce moment, je suis à celle de l’église d’Auteuil.
Comment est née votre rencontre ? Quand est-ce que vous vous êtes dit que vous étiez des amies ?
MV : Quand je travaillais à l’OCH, j’ai vite pris l’habitude d’inviter des amis de Foi et Lumière à prendre un pot, ou pour la messe. Marie-Christine en faisait partie. Avec Foi et Lumière, on est souvent parti en pèlerinage, à Lourdes mais pas seulement. Quand on vit ensemble, qu’on dort ensemble, ça crée des liens ! Puis on a découvert qu’on est était quasiment jumelles : on était nées à quelques semaines d’écart. Ça nous a amusées et on a commencé à fêter nos anniversaires ensemble. Puis on a instauré une tradition : organiser une grande fête pour nos anniversaires de dizaine. J’invitais mes propres amis, ma famille ; c’était une façon de nous découvrir mutuellement.
MC : Il y a un truc qui m’a marqué. C’est quand mon père et ma mère sont décédés : Marie Vincente a été là, m’a entourée. L’amitié, c’est ça aussi : partager les joies, et les peines.
MV : Récemment, quand j’ai perdu ma maman, tu m’as appelée à plusieurs reprises pour me consoler.
Qu’est ce qui vous a attiré, l’une et l’autre ?
MC : Je ne sais pas…Elle est comme une grande sœur pour moi.
Marie-Christine, pourrais-tu dire une qualité de Marie-Vincente ?
MC : (blanc) Je n’en trouve pas, peut-être je ne la connais pas encore assez ! En tout cas, je n’ai pas de problème avec Marie-Vincente. Et des défauts, peut être qu’elle en a, mais je ne veux pas le savoir.
MV : Moi ce qui m’a plu, c’est son amour de la vie. Elle a une vivacité, elle aime la fête, chanter, rire, danser…Une autre chose que j’aime bien : Marie-Christine n’a pas eu une vie facile – la vie ne t’a pas fait que des cadeaux, mais tu n’es jamais dans la plainte. Tu avances…Cela m’a entraînée, c’est un exemple pour moi. Et puis tu n’hésites pas à montrer ton affection, ça me fait du bien.
Marie-Christine a aussi un parler direct : quand tu n’aimes pas quelque chose, tu le dis… même si c’est parfois inconfortable pour les autres ; et quand tu aimes bien, tu le dis aussi. Deux ou trois fois dans ma vie, tu as eu des paroles de vérité qui m’ont fait du bien, qui m’ont remise en chemin. Par exemple, au début de ma retraite tu m’as demandé ce que j’allais faire. Moi je bredouillais, et tu m’as dit : « Tu dis à Jésus : je me donne à toi. » J’étais surprise…mais tu avais raison ! Ça m’a vraiment aidée.
« Faire un livre ensemble, essayer de trouver les mots qui allaient sur ton histoire, m’a aidée à te comprendre. Ça m’a rapprochée de toi. »
Et toi Marie-Christine, des conversations avec Marie-Vincente t’ont aidée ?
MC : Oui, par exemple quand on a parlé du handicap. On se baladait quand Marie-Vincente m’a demandé si j’avais déjà fait une histoire de mon handicap. J’ai répondu que pas vraiment ; c’était des trucs qui commençaient à mûrir, qui n’avaient pas encore porté du fruit. Alors on s’est mises à travailler un projet de livre* sur mon histoire.
Vous avez des itinéraires de vie – professionnelle, familiale -, très différents … Est-ce que ça a été plutôt une richesse ou une difficulté pour votre amitié ?
MC : Il faut de la distance entre nous… Pas toujours être collées comme de la glu. Une glu, c’est embêtant !
MV : Je suis d’accord !
Pendant longtemps on a été célibataires. Je pense que l’amitié de Marie-Christine m’a aidée à vivre ça, parce que j’avais le sentiment que tu vivais bien ton célibat, que ça ne t’empêchait pas d’être pleinement dans la vie, d’être à fond … Ça m’a fait du bien.
Ensuite quand je me suis mariée, j’ai conscience que nos liens se sont distendus. A la mort de mon mari, ça a été le maelstrom chez moi. J’ai été moins disponible. Maintenant, on est à la retraite toutes les deux, on a du temps l’une pour l’autre. On se rend visite, on fait des balades.
Est-ce que vous vous comprenez mutuellement ?
MC : Notre amitié est un cadeau du Seigneur !
MV : Oui, car Marie-Christine a de l’intuition. Moi, dans mon fonctionnement, j’ai besoin de passer par les mots… Toi, tu ne les as pas toujours. Et ça me manque. C’est pour ça que faire un livre ensemble, essayer de trouver les mots qui allaient sur ton histoire, m’a aidée à te comprendre. Ça m’a rapprochée de toi. Par exemple la façon dont tu ressens ton handicap m’a beaucoup éclairée ! J’ai compris combien il est lourd à porter, et toujours révoltant. Ça m’a ouvert les yeux.
Cette expérience vous a rapprochées…
MV : Concrètement on s’est vu toutes les semaines pendant un trimestre. Puis on a continué quand le livre est sorti, à discuter pour sa vente, les recettes…
Une amitié de longue date comme la nôtre, c’est très beau, très nourrissant. On sait qu’on peut compter l’une sur l’autre.
La distance, la liberté, c’est important dans votre relation ?
MV : Je crois qu’on est pareilles toutes les deux de ce point de vue-là ; on aime bien notre indépendance. Mais, si par exemple, on ne se téléphone pas pendant six mois, quand on se retrouve, c’est comme si c’était hier.
Recueilli par Cyril Douillet, ombresetlumiere.fr – 4 juillet 2022
A lire: « L’amitié, si vitale », O&L n°248 (juillet-août 2022)
* Comme un oiseau, je vole de mes propres ailes et me pose. 10 euros. A commander auprès de l’OCH : 01 53 69 44 30