« Nous avons la chance de vivre un grand amour »

Guillaume et Jeanne
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Guillaume et Jeanne, qui est IMC (Infirme Moteur Cérébral), sont mariés depuis bientôt cinq ans et parents d’une petite fille de deux ans. Malgré un quotidien parfois lourd, Guillaume témoigne de la beauté de leur vie.

C’est lors d’une soirée des veilleurs, l’été 2013 à Rennes, que j’ai aperçu Jeanne pour la première fois. J’avais 44 ans et elle, 34. Nous nous sommes retrouvés quelque temps plus tard dans une réunion de ce groupe. Je l’ai vue arriver en fauteuil, tremblotante. La réunion était assez tendue et tout à coup, je l’ai vue lever la main et, avec son élocution difficile, ramener le calme et imposer son point de vue. Je me suis dit qu’elle avait une vraie personnalité et que ça valait le coup de gratter derrière l’apparence. Nous avons travaillé durant un an ensemble pour les veilleurs, en se voyant chaque semaine. Et puis un jour, mon amour pour Jeanne est devenu une évidence. Très vite, nous nous sommes dit que nous voulions nous marier. Avant d’en parler à notre entourage, nous avons fait une retraite à Solesmes. En revenant, c’était plus que clair et nous avons annoncé nos fiançailles à nos familles. De mon côté, ce fut assez simple. Maman, psychologue, avait travaillé auprès d’enfants handicapés et connaissait l’infirmité motrice cérébrale. Du côté de Jeanne, ce fut plus difficile. Sa maman lui a dit qu’il était hors de question qu’elle gère deux handicapés. Et quand Jeanne lui a dit que j’étais valide, elle a répondu que je ne me rendais pas compte de ce que je faisais et qu’il était sûr que je partirai…

Chercheuse au CNRS

Au début, quand je me promenais avec Jeanne, je m’agaçais de voir les gens la dévisager avec un regard empli de commisération ou les dames bien intentionnées qui venaient lui toucher la joue à la fin de la messe comme à une petite fille. J’avais envie de mettre un panneau sur son fauteuil : « chercheur au CNRS ». Je souffrais vraiment de ce regard dévalorisant sur Jeanne. Je ne pensais pas que les gens pouvaient être aussi apeurés par la différence. Comme elle a une forte personnalité et un grand sens de l’humour, quand les gens s’adressent à elle, elle les retourne « comme une crêpe ». Aujourd’hui, nous recevons beaucoup de messages de personnes qui nous trouvent beaux. Nous voyons bien qu’à notre façon nous témoignons de quelque chose d’important et c’est capital pour Jeanne qui dit toujours que malgré toutes les difficultés, sa vie vaut la peine d’être vécue. Dans la vie quotidienne, Jeanne a choisi d’avoir quelqu’un pour l’aider le matin pour qu’il n’y ait pas de confusion des rôles ; ça lui donne une certaine autonomie vis-à-vis de moi. Mais nous avons décidé d’être seuls le week-end pour que cela ne devienne pas trop intrusif. Quand l’auxiliaire de vie est absente, j’aide Jeanne, je ne me pose pas de questions. Cela fait partie de ma vie. Jeanne veut participer à la vie de la maison mais cela lui prend énormément de temps. Elle a des gestes athétosiques, ne peut pas faire de mouvements précis, elle a de grandes difficultés pour marcher… Beaucoup de choses lui sont impossibles comme faire la cuisine, le ménage… On parle régulièrement ensemble des améliorations à apporter pour que le quotidien soit moins lourd pour chacun. Côté vie intime aussi, il a fallu s’adapter. Jeanne avait très librement abordé le sujet pendant nos fiançailles. Le prêtre qui nous a préparés aussi, me disant que tout ne serait peut-être pas simple mais qu’il me faudrait rester fidèle. Alors oui, effectivement ce n’est pas très simple mais c’est juste comme ça et je ne le vis pas comme une frustration. Nous avons tout de même eu l’immense joie de concevoir un enfant ! Madeleine a aujourd’hui deux ans. Comme Jeanne ne peut s’en occuper toute la journée et que moi, je fermais une société, nous avons fait un choix : je reste à la maison et Jeanne a conservé son activité professionnelle. Elle a de très grosses journées entre son travail, des séances de kiné plusieurs fois par semaine. Et par sa pathologie, elle a besoin d’énormément de sommeil. Alors, beaucoup de choses reposent donc sur moi. Je suis ses jambes et ses bras. Certains jours, c’est dur.

Nous vivons plus intensément

Nous faisons notre maximum pour être ouverts sur l’extérieur. Dès le début de notre mariage, nous avons rejoint les équipes Notre Dame. Nous faisons l’accueil au baptême sur notre paroisse et j’y anime un groupe de bébés adorateurs (0-4 ans). Nous invitons des amis à la maison, ce qui est plus simple pour nous que de sortir. Nous voyons bien que nous faisons moins de choses que les amis mais cela ne nous gêne pas… Nous prions beaucoup individuellement et en couple. C’est Jésus qui nous porte. Je pense que sans notre Foi, notre vie serait vraiment plus compliquée. Nous recevons des grâces. J’étais de nature très impatient et finalement, je vis avec assez peu de problèmes avec une personne qui est très lente… J’ai arrêté différentes activités comme le sport car Jeanne a été clouée au lit plusieurs mois pour une sciatique, puis elle a été enceinte et je me devais d’être continuellement à ses côtés. C’est sûr que cela me manque mais je n’ai jamais remis en cause mon choix. J’ai même l’impression parfois que le handicap de Jeanne est une chance car nous vivons plus intensément. Il y a des accrocs, tout n’est pas facile loin de là mais nous avons la chance de vivre un grand amour avec Dieu qui est là, toujours présent, pour faire vivre notre couple.

Guillaume, ombres et lumiere n°234

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