Une vie de maman

Panique à l’étalage

un caddie vide
© Adobe stock.

Paul aime les quenelles. Il est réellement envoûté par les quenelles. De nombreuses personnes autistes, comme lui, sélectionnent à l’extrême ce qu’elles mangent, jusqu’à exclure ou choisir des aliments en raison de leur texture ou de leur couleur. Cela varie au cours du temps et n’a pas toujours été aussi compliqué, mais Paul peut refuser de s’alimenter pour obtenir du gouda, des spéculos ou des quenelles. Je cède et je lui en donne très souvent. Hop, au four avec un peu de crème. Il peut en avaler six en un seul dîner. Toutes les semaines, j’achète des paquets peu chers, toujours la même marque. Mais depuis des mois, le rayon est régulièrement vide. Panique. Dès qu’elles réapparaissent, je dévalise l’étalage. Dans tous les magasins que je croise, je jette un œil pour refaire le stock. Je désespère à mesure qu’elles disparaissent dans mon supermarché. Est-ce la pénurie de farine, la hausse du prix du beurre ? Le réchauffement climatique ? Je ne comprends pas. Je trépigne devant la vitrine, et je m’en vais bredouille. Je retenterai ma chance plus tard. En attendant, j’ai appris à les fabriquer. Ce n’est pas très compliqué, mais franchement, j’ai autre chose à faire le week-end. La semaine dernière, mon désespoir était à son comble, car le rayon vide a été rempli… avec des nems. C’est la fin. Je me sens bien incomprise et abattue. Cela me rappelle que le confort de Paul et la sérénité de son entourage dépendent parfois d’un détail sans importance pour les autres. Tout le monde s’en moque. Qui peut nous comprendre ? Je me mets à penser que la disparition des quenelles est un complot pour nous compliquer la vie. J’ai envie d’aller demander des comptes au responsable du magasin, et de lui dire en face qu’il a intérêt à trouver des quenelles, sans quoi j’emmène Paul faire les courses avec moi en courant et sautant à travers les rayons.  J’énumère mentalement tout ce qui me paraît injuste depuis trop longtemps. Je ne vais pas en rester là.

Je poursuis mes achats et plus loin, dans l’allée, coincée entre les tartes et le fromage, en bas du rayon, dans un tout petit espace, j’aperçois un paquet blanc à bordure bleue, que je connais par cœur : des dizaines de lots de quenelle sont là, bien rangées, les uns derrière les autres. Je reste bloquée devant le rayon de longues minutes, sidérée, à les regarder, à les compter. Elles étaient donc là. Le chef de rayon les avait juste changées de place. Je me sens honteuse et penaude de m’être énervée depuis des semaines et d’avoir voué les responsables aux pires tourments. Trop centrée sur mes soucis, je m’imagine bien vite victime. Comme d’habitude, je m’en suis sortie en remerciant le Ciel de sa prodigalité en matière de quenelles.

Marie-Amélie Saunier, ombresetlumiere.fr – 9 mai 2023

portrait de Marie-Amélie Saunier

Marie-Amélie Saunier vit à Lyon. Elle est mère de quatre enfants, dont Paul, atteint d’autisme, et auteure de « On n’est pas à l’abri d’un bonheur. Ma vie avec un ado autiste », Ed. Salvator.

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