« Pardon, pouvez-vous répéter s’il vous plaît ? »

Elle revient sans cesse. Cette question posée des centaines de fois. À l’inconnu dans la rue, au plombier qui vient chez moi, à la collègue distraite, aux amis pourtant chers, et à la famille pourtant aimante. Soit ils ne s’en sont pas rendus compte, soit ils ont oublié.

Au cours d’une conversation, à cause d’un visage hors de mon champ de vision, d’une main devant la bouche, de lèvres à contrejour, des bribes de phrases m’ont encore une fois échappé. Flûte, qu’est-ce qu’elle a dit ? Qu’est-ce qu’il a raconté ? Était-ce important ? Peut-être amusant ? « Pouvez-vous répéter s’il vous plaît ? ». Parfois avec humour, parfois de manière affirmée et d’autres fois avec lassitude, je repose la question.

Je perçois l’étonnement, un souffle agacé, l’exaspération, un geste impatient. « Elle fait exprès ou quoi ? », pensent-ils tout haut. Le revers de la médaille est là : à force de faire illusion, ou plutôt de combler les trous de mon audition en usant de la suppléance mentale, je finis par faire croire que je ne suis « que » malentendante, que je suis distraite, pire que je me fiche de mes interlocuteurs.

Malgré tous mes efforts pour suivre les conversations, les séances d’orthophonie pour perfectionner ma compréhension orale et mon équipement auditif à la pointe du progrès, je reste une personne sourde. Une étrangère en son pays. Mon accent donne d’ailleurs parfois lieu à de comiques quiproquos. « Oh sorry ! ». J’ai beau essayer de saisir toujours davantage les subtilités de la langue française, lorsque les mots s’enchaînent et se bousculent à toute allure, je n’arrive plus à les rattraper.

Alors, je repose la question doucement : « Peux-tu répéter s’il te plaît ? ». La course folle des phrases ralentit brutalement. J’entends parfois des exclamations de surprise, des « pardons » confus. Les mots reprennent enfin leur place, à mon plus grand soulagement. Le brouhaha redevient langage, au plus grand plaisir de tous.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 27 septembre 2022.

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.