Sur le fil
Pas une bougie ni un savon
Ma grande sœur me bouleverse par moment. Plus que vous pardon, que mon voisin, que mon frère, que Pierre Paul Jacques. A travers ses réactions tellement atypiques, singulières, qui me déplacent. Si souvent.
Par exemple pour Noël, elle fait ses paquets, ses cadeaux, ses emplettes, elle qui compte ses sous pour se nourrir, et son argent de poche. Elle tient à faire des cadeaux pour chacun de nous ses frères et sœurs.
Des cadeaux à l’ancienne, des cadeaux où le temps n’a pas de prise.
Par exemple pour moi sa petite sistra, – comme on dit en russe, un CD … Déjà, un CD ! Qui a encore un lecteur CD chez soi ? Un disque de Diams qui plus est. Une autre époque…
Et elle a eu la délicatesse de me commander un DVD sur sainte Thérèse en plus, alors qu’elle est très loin de la foi de l’église, des saints, etc. Ça veut dire qu’elle me suit, ma grande sœur un peu plus fragile, qu’elle m’écoute, elle me voit évoluer, elle sait que je suis passée de Diams à Thérésa ou que je suis les deux à la fois. Ce qu’elle ne sait pas et je n’ose pas lui dire… Ou que je dois oser peut-être, au contraire, d’adulte à adulte, car après tout elle, mon aînée, dois-je la protéger ? Ce qu’elle ne sait pas donc, c’est que je n’ai plus de lecteur CD ni DVD chez moi depuis plus de… dix ans.
Je m’en cogne, ça me touche tellement. C’est si bien pensé. Ce n’est pas une bougie ou un savon, c’est Diams et Thérésa, mes deux idoles, récente et ancienne, et c’est très personnel. Précisément. Je me sens autant vivante dansant sur Diams, que priant la Thérésa.
Précise elle l’est, ma grande sœur Anne.
Par exemple, nous avons dû nous y reprendre à trois fois, – et ce n’est pas fini !- pour lui trouver les chaussures de son choix, mon autre grande sœur et moi, car ses goûts sont très arrêtés à ma grande sœur, et coquets. Et pourquoi ne le seraient-ils pas ? Corail le pull et rien d’autre, s’il vous plaît ! « Et sur scène je t’ai vu avec ton pantalon Uniqlo noir un peu large Sophie, tu crois que je pourrai avoir le même ? » me dit-elle en sortant du spectacle. Son seul retour… L’essentiel.
Elle reste coquette, femme et précise, ma grande Anne.
Je sais aussi combien ça lui coûte et l’angoisse, de jouer le jeu du monde, je sais, et de venir 24 heures en famille, fêter noël, le bruit des petits, ses belles-sœurs qui sont différentes d’elle et qu’elle ne connaît pas beaucoup, changer de chambre et dormir chez notre sœur : tout ça c’est énorme pour elle, pour traverser l’angoisse du moins connu. Et pourtant cette année, et pour la première fois depuis très très très longtemps, elle vient. Elle traverse ses peurs. Ou plutôt mon frère ira la chercher en voiture, tout confort, et la reconduira dans son foyer, porte à porte. Je vous l’ai dit c’est une princesse ma sœur.
Sophie Galitzine, ombresetlumiere.fr – 18 décembre 2023
Artiste-thérapeute et danseuse, Sophie Galitzine nous invite « sur le fil » de sa relation avec Anne, sa sœur aînée, souffrant d’une maladie psychique.