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Paul de Livron, un créatif tout terrain

Paul de Livron
© Guillemette de Préval.

Ce bricoleur de 31 ans s’est lancé dans la fabrication de fauteuils roulants en bois et vient d’en offrir un au pape François, à l’occasion de sa venue à Marseille les 22 et 23 septembre.
En mai, Ombres & Lumière avait rencontré ce touche-à-tout, paraplégique depuis dix ans.

L’air jovial, il se faufile avec aisance en fauteuil roulant, les manches de sa chemise retroussées, à travers les portes de sa résidence à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine). Paul de Livron, la trentaine juste franchie, est de ceux qui vivent en mouvement. « Quand quelque chose me travaille, je pars faire du vélo, ça me remet les idées en place! », plaisante ce brun qui fourmille de projets, le regard animé. Son vélo, qui se manœuvre par la force des bras, trône justement dans l’entrée. Un autre modèle de course orange, avec un pédalier classique cette fois, est arboré dans son salon à la décoration composite. Paul vadrouillait avec, avant son accident, en 2013, qui l’a laissé paraplégique. En randonnée dans les calanques près de Cassis, il a fait une chute de plusieurs mètres. « Heureusement, un arbre m’a retenu de tomber plus bas, sinon, j’y passais », raconte-t-il. Une vertèbre cassée a comprimé sa moelle épinière et lui a fait perdre l’usage de ses jambes. S’en est suivi un mois d’hospitalisation puis un an de rééducation. Pour l’étudiant d’alors 21 ans, tout s’arrête. Il devait encadrer un camp scout avec des amis, partir un an en Amazonie…
« Le trou noir », confie-t-il sans s’appesantir.

Mû par l’esprit scout qui l’imprègne, Paul se nourrit des livres de Saint-Exupéry et Guy de Larigaudie, alimente sa foi transmise par ses parents et adopte la récitation quotidienne du chapelet. « Je n’en ai pas voulu à Dieu. Autour de moi, il existe des situations bien plus dramatiques que la mienne, exprime-t-il. Si on me proposait une pilule pour récupérer l’usage de mes jambes, ce ne serait pas évident pour moi de l’avaler. Ma situation me singularise, elle stimule ma créativité. Les gens sont bienveillants avec moi, parfois maladroits, mais jamais indifférents. » Son cousin, Paul Cesbron Lavaud, duquel il est proche, atteste de sa pugnacité : « Quand on le connaît peu, on identifie vite Paul à son fauteuil en se disant qu’il est très résilient. Il l’est, c’est vrai, mais il a toujours été très engagé. La détresse des autres le touche et le révolte. Donner du temps fait partie de lui, le rend joyeux. Son handicap le pousse encore plus à chercher quelle est sa place dans la société. »

Virages en épingle

Durant sa convalescence, Paul se fait aussi la promesse de ne « plus jamais s’ennuyer », trop conscient de la valeur de la vie. Diplôme d’ingénieur en poche, ses premiers boulots derrière un ordinateur le désolent. Il démissionne. Ce touche-à-tout s’essaye à l’enseignement de physique-chimie, pour un remplacement de trois semaines. « Passionnant mais difficile ! » Puis, une cousine lui propose de le rejoindre un mois à Calcutta. « J’ai mesuré la chance d’habiter en France. Là-bas, beaucoup de personnes handicapées moteur n’ont pas les moyens d’obtenir un fauteuil. » De retour au pays, lui qui fréquente régulièrement les colocations entre anciens sans-abris et jeunes professionnels de l’Association pour l’Amitié (APA) cherche encore sa voie. Le Covid arrive. Le confinement s’installe. Paul se réfugie en Dordogne pour vivre près de sa grand-mère. Ce créatif lance, avec sa petite sœur Marguerite, une bande dessinée pour expliquer le coronavirus aux enfants. Elle illustre, lui écrit. Sur les réseaux sociaux, c’est un succès. Une maison d’édition les contacte, un recueil paraît. Puis le duo Livron se lance dans des affiches de décoration pour chambres d’enfants. « Mais tous ces projets ne permettaient pas de vivre », admet ce musicien, assis près de ses trois guitares et d’un pupitre à partitions.

Artisan du Beau

Une chose est sûre, Paul aime l’aventure entrepreneuriale. À la recherche d’un métier « plus manuel », le déclic lui vient en visitant un atelier d’ébénisterie. Il décide de se lancer dans la conception de fauteuil en bois sur-mesure. Trois mois plus tard, le premier voit le jour. « Bon, il manquait juste les freins ! », s’amuse le jeune homme, qui bricole depuis toujours avec son père dans la maison familiale de Dordogne. Quand Paul sort avec son fauteuil atypique, les têtes des passants se tournent. « Je sens que l’esthétisme plaît. On me regarde différemment », affirme cet artisan du Beau au service du Bien. Il rêve un jour de pouvoir transmettre son savoir-faire à des ateliers de pays en voie de développement, à commencer par Calcutta.

Les accoudoirs du fauteuil du pape François ont été taillés dans du bois rescapé de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. © Paul de Livron

Dans son atelier de bricolage installé à même sa chambre, un tablier de travail noué aux reins, il manie scie électrique et aspirateur pour récolter la poussière de bois. Là encore, les réseaux sociaux propulsent son histoire. « Tous ces soutiens m’ont donné envie de créer un autre fauteuil. » Cette fois, il veut en faire bénéficier quelqu’un. Paul pense d’abord à sa grande sœur, Gabrielle, atteinte de la sclérose en plaques. Après mûres réflexions, ce sera pour… Le pape François ! Le chef de l’Église circule en effet de plus en plus en fauteuil roulant. Grâce à différentes rencontres, « et la Providence », des prêtres et évêques s’intéressent au projet de Paul et lui permettent de voir le pape début mai. « Quand je lui ai tendu la maquette du fauteuil que je proposais de lui fabriquer, ses yeux se sont allumés ! », relate-t-il, encore touché par l’humilité du pape lorsque ce dernier lui a demandé : « Avec qui faut-il prendre contact pour le commander ? » L’objectif est de lui offrir ce fauteuil, aux accoudoirs taillés dans du bois rescapé de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, lors de sa visite à Marseille du 23 septembre. D’ici là, mille autres projets l’attendent. Longtemps engagé dans les associations À bras ouverts et À fond la vie, Paul organise chaque été un séjour pour adultes avec l’APF France Handicap. Il peaufine aussi la sculpture d’un Christ vêtu d’un jean et d’un t-shirt et aimerait repartir voyager en auto-stop… Paul fait feu de tout bois. Du reste, il en fait fi.

Guillemette de Préval

Le fauteuil a été remis à l’archevêché de Marseille le 21 septembre, lors de la venue du pape François © Paul de Livron

https://linktr.ee/paul2livron
Des fauteuils roulants en bois, le Pape, Notre-Dame et moi

Mini-bio

  • 25 novembre 1991 : naissance à l’Isle-Adam
  • 6 juin 2013 : accident de randonnée dans les calanques
  • Mars 2020 : première expérience entrepreneuriale pendant le confinement
  • Printemps 2022 : conception de son premier fauteuil en bois
  • 3 mai 2023 : rencontre avec le pape François
  • 21 septembre 2023 : remise du fauteuil en bois du pape François, à Marseille

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