Philippe Petit : « La loi Leonetti n’est pas adaptée pour les personnes EVC/EPR »
La Cour de Cassation est sur le point d’examiner, lundi 24 juin, le pourvoi du gouvernement contre la décision de la cour d’appel de Paris ordonnant la reprise des soins de Vincent Lambert. Philippe Petit, médecin et père d’un homme en état pauci-relationnel, référent dans l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens (Unaftc), nous partage son appréhension.
Depuis la première saisine du Conseil d’Etat en 2014, l’UNAFTC s’est porté « intervenant volontaire » contre la décision d’arrêt des traitements. Pourquoi ?
Peu de gens ont pris la mesure de ce qui se passe bien au-delà de la situation de Monsieur Vincent Lambert. La position de l’UNAFTC est indépendante des deux parties qui s’affrontent dans cette histoire. Nous nous sommes engagés en raison de la peur partagée par des familles vivant des situations similaires et pour témoigner de ce qu’elles vivent. En France, il existe au moins 1500 personnes en état végétatif chronique (EVC) – sans interaction décelable –, ou en état pauci-relationnel (EPR) – avec des interactions possibles avec l’environnement, mais fluctuantes. L’UNAFTC considère que ce qui sera décidé pour Monsieur Vincent Lambert est susceptible de faire jurisprudence pour ces personnes qui bénéficient d’une alimentation et d’une hydratation artificielles même si elles ne sont pas en fin de vie et n’ont pas d’autre traitement particulier.
« A quoi bon vivre dans cet état-là » … est la réflexion que l’on entend beaucoup dans le grand public depuis le début de cette affaire. Comment recevez-vous ce critère de la qualité de vie ?
C’est une réaction de personne en bonne santé face à un état qu’elles jugent intolérable. Ce n’est pas forcément ce que ressentent les personnes concernées même si elles ne peuvent pas l’exprimer. Nous avons réalisé une étude sur la vie au quotidien des personnes en EVC ou EPR dans les unités qui leur sont dédiées, et nous venons de lancer une étude à domicile. Il en ressort que ces personnes ont un projet de vie centré sur l’objectif d’entrer en relation avec elles que ce soit par les soins ou des activités comme par exemple la musicothérapie. Ce projet de vie à long terme n’a rien à voir avec les soins palliatifs. Ce n’est ni la même mission ni le même accompagnement. Les personnes en EVC ou EPR sont dans une forme extrême de vulnérabilité et de dépendance qui requiert des soins quotidiens, d’attention, et qui n’est pas figée, surtout si ces personnes sont stimulées. Même dans ces situations, un chemin de vie est possible. La réalité est très différente de ce que véhicule la pensée unique pour qui ces situations ne sont pas vivables. La mort lui serait donc préférable et l’imposer reviendrait alors à soulager la personne et ses proches. A partir du critère présumé de la qualité de vie de la personne en EVC ou EPR, et par une contorsion de la loi Léonetti, on nous suggère que le maintien en vie de ces personnes par une compensation de leur dépendance est déraisonnable. Ces personnes ne sont ni malades ni en fin de vie. Il suffirait de dire que la loi Léonetti ne les concerne pas tant qu’elles ne se trouvent pas dans une situation de fin de vie, comme n’importe qui.
Quel est votre vécu de père ?
A 14 ans, mon fils a été renversé par une voiture alors qu’il était à vélo. Il est depuis en état pauci-relationnel. Il a une relation fluctuante. De façon naturelle, nous nous sommes organisés pour qu’il vive à la maison. Il a maintenant 30 ans. J’ai appris à le respecter tel qu’il est. Rester dans le regret de l’adolescent qu’il était ou de l’homme qu’il aurait pu devenir revient à lui interdire d’être tout simplement ce qu’il est. Or mon fils est présent. J’ai une relation avec lui qui est particulière, mais elle m’a tourné vers plus de profondeur et d’authenticité. Les personnes comme mon fils apportent beaucoup en termes d’humanité. Le regard que l’on porte sur elles est caricatural et profondément inhumain car on leur dénie le droit d’exister. Quand la ministre de la Santé dit que le Comité international des droits des personnes handicapées n’est pas concerné par la situation de Vincent Lambert, au motif que ce comité s’occupe des personnes handicapées, on ne peut qu’être choqué !
Redoutez-vous la décision de la Cour de Cassation ?
Oui. Un arrêt de la cour d’appel de Paris a suspendu le 20 mai l’arrêt des traitements de Vincent Lambert engagé par le CHU de Reims, le temps que le Comité international des droits des personnes handicapées, qui dépend de l’ONU, se prononce. Ce dernier a demandé à la France un délai de six mois. Si cet arrêt est cassé par la Cour de Cassation, ce comité n’aura pas le temps de se prononcer et la décision d’arrêt des traitements devrait être mise en œuvre. Peut-être que le Comité rendra un avis mais ce sera a posteriori. Si la Cour de Cassation ne casse pas l’arrêt, cela n’apportera aucune réponse sur le fond, mais le comité pourra valablement donner son avis. A défaut, on aura une loi pour les personnes en fin de vie dont la portée aura été renforcée pour les personnes handicapées dépendantes dans l’incapacité de s’exprimer et dont on ne connaît pas la volonté. Le législateur aura considéré que la sagesse des médecins suffit à garantir leurs droits. Or, décider que maintenir en vie une personne est de l’obstination déraisonnable ne relève pas uniquement de considérations médicales. Il n’y a donc rien pour nous rassurer. Si in fine, la décision d’arrêt des traitements de Monsieur Vincent Lambert est mise en œuvre, il est possible que demain d’autres médecins se sentent renforcés dans la possibilité de faire la même chose. La seule chose que nous pouvons espérer, c’est d’être entendus par le comité de l’ONU pour discuter du périmètre de la loi Léonetti dont je répète qu’elle n’est pas adaptée pour ces personnes.
Recueilli par Florence Chatel, ombresetlumiere.fr – le 21 juin 2019