Restons poly
Plus jamais peur
À la messe, une petite fille regarde fixement Marie Océane. Elle part, elle revient, elle repart. A son troisième retour, alors que son regard est toujours fixé sur Marie Océane et son fauteuil, je la regarde et lui demande de s’approcher. Elle a un peu peur. Peut-être pense-t-elle que la maladie de Marie Océane est contagieuse ? Elle ne le sait pas, on ne lui a rien dit. Peut-être que Marie Océane est méchante, dangereuse, ou que sais-je ? Elle ne la connaît pas, et cette grande fille dans un fauteuil avec des roues, c’est bizarre quand même, non ?
Alors je lui parle. Je lui demande son prénom et je lui dis que ma fille s’appelle Marie Océane. Qu’elle a une maladie dans son cerveau et qu’elle ne peut ni marcher, ni parler, mais qu’elle aime beaucoup qu’on lui parle ou qu’on lui chante des chansons. Et qu’elle comprend ce qu’on lui dit. Je les présente mutuellement. La petite fille se rapproche, un peu rassurée. Je lui explique que le cerveau de Marie Océane n’envoie pas de bons ordres, et du coup ses mains bougent beaucoup, ses pieds aussi. Mais qu’elle ne le fait pas exprès. Je lui exprime combien Marie Océane est gentille et courageuse. Et qu’elle sait faire des caresses, des sourires. Je prends la main de Marie Océane et l’aide à dire bonjour à l’enfant, en lui caressant la main. Je lui dis que Marie Océane a une grande mémoire et qu’elle se souviendra d’elle quand elle la reverra la prochaine fois.
Cette petite fille m’écoute, sourit et repart vers sa maman, rassurée. Elle lui raconte ce que je lui ai dit et expliqué.
Quand Marie Océane avait 6 ou 7 ans, une maîtresse adorable la prenait dans sa classe de petits-moyens, une demi-journée par semaine. J’étais venue présenter Marie Océane. Tous les vendredis, quand nous arrivions, les enfants de 3 ou 4 ans accouraient, et me disaient à toute vitesse : « Elle ne parle pas, mais on peut lui parler, on peut chanter et elle dit oui avec les yeux … » Ils étaient heureux de la retrouver et de la connaître. Vingt ans plus tard, ils s’en souviennent.
« L’ignorance et la peur sont ce qui suscite, provoque, fonde le racisme et l’intolérance », soulignait Tahar Ben Jelloun. Présenter Marie Océane, expliquer, dire ce qu’elle peut faire, est tellement important pour créer un lien. Ma fille ne peut pas le faire par elle-même. Je serai toujours prête à jeter ce pont, et j’ose espérer que ces petits enfants, une fois devenus adultes, ne craindront plus de s’approcher et de parler à une personne en situation de handicap. Peut-être même la présenteront-ils aux autres, et ainsi, plus personne n’aura plus jamais peur.
Caroline Saillet, ombresetlumiere.fr – 11 mars 2024
Psychomotricienne par vocation, Caroline Saillet a toujours été proche des personnes porteuses de handicap. Mariée à Hubert Saillet, notre ancien chroniqueur, elle est mère de cinq enfants, dont Marie Océane, polyhandicapée. Bricoleuse, créative, un peu hyperactive, elle dévoile des recoins du quotidien et des réflexions sur le polyhandicap en partant de son expérience.