Un pas de biais

« Quand même, c’est triste… »

des servants d'autel
© Corinne Simon /Ciric

Il y a peu, j’ai assisté à une belle célébration religieuse. De nombreuses familles étaient rassemblées pour l’occasion, les prêtres avaient revêtu leurs plus belles chasubles, le pianiste jouait allègrement… Bref, magnifique.

Au premier rang des servants de messe se tenait un jeune garçon, tout sourire, dont je me suis aperçue après coup qu’il était atteint de nanisme. Après coup : car ce qui m’a d’abord frappée, c’est que, dans la procession, il prêtait attention à son jeune voisin avec une gentillesse et une délicatesse palpables.

Après la messe, nous rentrons en famille pour festoyer. Au moment de se quitter, un couple d’amis s’exclame : « Vous avez vu ce petit garçon ce matin, à la messe ? Quand même… C’est triste ! »

Cette remarque m’a fait l’effet d’une bombe. J’aurais compris qu’ils disent : « c’est dur ». Car le handicap est une réalité violente, qui interroge, qui blesse, qui bouleverse. Mais « c’est triste » ?

Heurtée, j’ai réagi tout de go : « Mais pas du tout ! Regardez comme cet enfant avait l’air joyeux ! » De fait, il avait souri pendant toute la messe.

A posteriori, je me suis étonnée moi-même de la violence de ma réaction. Comme si j’avais voulu, par un surcroît d’enthousiasme, par solidarité aussi, racheter cet enfant aux yeux des autres, ne pas le laisser injustement condamné à la tristesse… Mais après tout, je dois bien avouer que parfois le handicap me pèse sur le cœur comme une enclume, et m’arrache des larmes. Alors ?

En vérité, il y a une différence entre « c’est triste », et « je suis triste ». Dire « c’est triste », c’est se référer à une joie « normée », dictée par on ne sait pas bien qui ni quoi. La réussite sociale ? L’indépendance ? La capacité de séduction ? C’est juger une situation pour éviter, plus ou moins consciemment sans doute, d’avoir à plonger dans nos profondeurs et d’y découvrir la pauvreté de nos critères… La fragilité de nos propres vies.

En fait, la question n’est pas de savoir si le handicap est triste ou non, mais plutôt de savoir si je me laisse enfermer dans de faux critères ou si je choisis la liberté de la vraie joie.

En étant servant de messe, en témoignant publiquement de son bonheur de faire partie de l’assemblée, cet enfant a choisi son camp. Il nous aura fait réfléchir…et aura frayé un chemin pour chacun. Merci à lui.

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 22 juin 2021

portrait de Cécile Gandon

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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