Un pas de biais

Rencontre au sommet

des personnes à un arrêt de bus.
© Istock.

La semaine dernière, en raison d’un sommet France-Afrique, le quartier a été bouclé par les CRS. Impossible de rentrer chez moi.

« Le trafic est interrompu pour une durée supérieure à 50 minutes », m’avertit obligeamment le panneau d’affichage de l’arrêt de bus. Je commande un taxi : « Désolés, nous ne pouvons donner suite à votre demande ». Je m’adresse à deux gendarmes de service : « Désolés, il y a un sommet politique ».

Ce mot, « désolés », me fait mal. J’ai l’impression qu’on se moque de moi. Comment ce panneau d’affichage, cette voix imperturbable peuvent-ils être sincèrement « désolés » ? Cette compassion métallique, inhumaine, me donne l’impression d’être inadaptée au monde qui m’entoure. Leur désolation n’est pas la mienne. Eux, ils ne pleurent jamais.

Je n’ai pas d’autre solution que de rentrer à pied. 45 minutes de marche. Avec ma canne, mon sac à dos, mon ordinateur portable. Mon ciré parce qu’il pleut. Et mon masque, bien sûr. Je suis le trajet de l’arrêt de bus, m’arrêtant de station en station. Elles portent bien leur nom, tiens ! C’est presque un chemin de croix.


A mi-parcours, arrive une vieille dame africaine, toute courbée, un beau turban dans les cheveux. « Vous faites une petite pause ? », me demande-t-elle. « Vous avez raison, je viens de faire pareil. Allez, courage, courage ! Ça va aller ! », me dit-elle dans un bon sourire. Et elle repart.

Pour moi, tout d’un coup, la face du monde est transformée. Enfin un vrai regard, un regard humain ! Sa bienveillance me rend ma légitimité d’être : pour elle, il est juste et bon que je sois là. Oui, le monde qui m’entoure est bien le mien, j’y ai ma place.

Ragaillardie, je continue ma route. Peu après, passe un bus : le trafic a enfin repris. Je monte dedans pour la dernière station. Ce tronçon de trajet accompli à toute vitesse, sans effort, me semble un délice. Consolation métallique, mais consolation tout de même, allez ! Soyons cléments… Est-ce que je ne viens pas de vivre moi aussi, à ma façon, un sommet France-Afrique ?

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 27 mai 2021

portrait de Cécile Gandon

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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