Un pas de biais
Sans tambour ni trompettes
Début janvier, profitant de mon arrivée dans un nouveau quartier, j’ai rejoint une chorale de jeunes pros. Je n’avais jamais osé franchir ce pas jusqu’à présent, ayant à faire face à de nombreuses résistances intérieures. « Tu ne peux pas rester debout longtemps… À quoi ça rime de chanter assise ? Tu ne pourras tout simplement pas aller chercher les notes les plus hautes ; et puis assise dans un groupe de gens debout, franchement, ça fait tache… » Sans compter que je ne sais pas lire les notes sur une partition. Gênant.
Mais j’aime trop chanter ! Quand je fais le ménage, je chante. Quand la prière m’ennuie, je chante. Quand la tristesse commence à m’accabler, je chante. Alors maintenant, ça suffit : c’est le moment, il faut que je chante !
La chorale m’a accueillie à bras ouverts. « Tu ne connais pas les notes ? Pas grave, on va t’apprendre. Tu aimes chanter ? C’est ça qui compte. Rendez-vous tous les jeudis pendant deux heures. On anime une messe par mois. »
La première fois, j’ose timidement demander une chaise que les sopranes m’installent sur une grande marche de l’estrade : ainsi j’arrive à hauteur de l’épaule de ma voisine, qui est debout. La deuxième fois, je n’ai même pas à demander : la chaise arrive comme par magie. Et la chef de chœur se déplace pour me permettre de n’être pas excentrée, faisant migrer l’ensemble de la chorale. La troisième fois, ma voisine, un peu fatiguée par sa grosse journée, prend une chaise et s’assoit à côté de moi, tenant les partitions pour nous deux. Un garçon, chez les ténors d’en face, dessine un cœur avec ses mains et nous regarde à travers avec un grand sourire, en signe de solidarité. Sympa !
Tous ces petits gestes pour m’inclure progressivement dans le groupe me touchent profondément. Je suis émue par la discrétion et la douceur avec laquelle les choses se font, note après note. Quel contraste avec le combat violent que j’ai eu à mener avant d’oser ! Émue aussi par la délicatesse de chacun qui se transforme petit à petit en attention collective, faisant de cette chorale un lieu où il fait bon chanter et être soi.
Lors de la prière conclusive, lorsque les choristes tout à coup se mettent à prier sainte Cécile, j’en ai le cœur tout bouleversé : ils sont tellement sympas qu’ils poussent la délicatesse jusqu’à prier ma sainte patronne… C’est trop ! Jusqu’à ce que je réalise qu’ils la prient tous les jeudis : sainte Cécile est juste la patronne des musiciens. Trop drôle ! Quel beau signe. Décidément, il fallait que je chante !
Cécile Gandon, ombresetlumière.fr – 19 février2024
Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle vient de publier « Corps fragile, cœur vivant » (Emmanuel).