Chroniques
Service compris
A l’automne, si tout va bien, je déménage. Je quitte mon studio d’étudiante pour habiter enfin un studio de grande personne -c’est-à-dire avec un lave-linge intégré… Adieu les allers-retours avec mon sac à dos à la laverie ! C’est l’occasion d’aménager un peu mieux l’espace par rapport à mon handicap. Transformation de la baignoire en douche. Accessibilité des placards. Je n’aurai plus à retenir mon souffle au moment de monter sur un escabeau pour attraper mon mixeur, en priant tous les saints du paradis de ne pas finir moi-même en bouillie.
Bref, je déménage -de quelques kilomètres, et c’est une bonne nouvelle ! Sauf qu’il y a plein de travaux à faire. Et que je ne peux rien faire. Je suis incapable de porter un carton sans perdre l’équilibre. Si j’essaie de prendre des mesures, mon mètre a une fâcheuse tendance à se rembobiner automatiquement en me sautant au nez avant même que j’aie pu voir le chiffre. Je ne peux même pas dire que je suis la tête pensante de l’affaire, car entre la plomberie, l’électricité, la pose de carrelage et la gestion des double-vitrage… Je me sens un peu dépassée. Complètement, même.
Mais ce qui est beau, c’est que, depuis le départ, je rencontre les bonnes personnes, au bon moment, pour me venir en aide. Une amie architecte me propose de m’accompagner. Mon beau-frère passe deux soirs à suer sang et eau pour poncer le parquet abîmé. Une collègue transporte un aspirateur dans sa voiture, un dimanche après-midi. Une jeune fille malgache vient avec trois copains pour mettre des vieux meubles aux encombrants, au son énergisant de son smartphone.
Tant d’énergie, de joie, de talents déployés. Tant de visages aimants. Tout cela pour quoi ? Pour moi. C’est fou. Je suis émerveillée de la bonté des gens qui m’entourent. J’ai du mal à croire que l’on puisse donner gratuitement du temps ainsi, simplement pour moi.
Et puis, me revient aussi en mémoire cette phrase de Jésus qui m’égratigne un peu le cœur : « Je suis venu, non pour être servi, mais pour servir ». Comment la prendre, la comprendre ? Parfois, contrairement à lui, j’ai l’impression d’être là non pour servir, mais pour être servie. Devant cette merveilleuse chorégraphie d’amis, de professionnels talentueux, je me demande : qui je sers ? On me rend service, mais moi… qui je sers ? Et même : à quoi je sers ?
Une petite voix au fond de moi me dit ceci : C’est sûr, tu ne peux pas porter un carton. Ce n’est pas toi qui vas monter un meuble à la force de tes poignets.
Mais peut-être que tu es simplement là pour voir, en chacun, ce qu’il a envie de donner, et lui permettre de le faire. Peut-être y a-t-il des moments où accepter d’être servie, c’est déjà une forme de service. Mystérieusement.
Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 26 juillet 2023