Actus
Sœur Samia, une lumière dans la nuit syrienne
Religieuse maronite, Sœur Samia, 41 ans, a fondé et dirige le Sénevé, un centre pour enfants et jeunes porteurs d’un handicap, à Homs, en Syrie. A l’occasion de son passage à Paris, cette femme de cœur a confié son histoire à Ombres & Lumière. Une lueur d’espoir dans un pays en ruine.
Religieuse du Saint-Cœur de Jésus et de Marie depuis 22 ans, je suis supérieure de la communauté d’Homs, région dont je suis originaire. Je dirige Le Sénevé qui est un centre d’accueil de jour pour des personnes en situation de handicap mental, âgées de 3 à 30 ans. Ce projet de centre est né car nous avons perçu un besoin, sous l’impulsion d’un prêtre hollandais présent en Syrie. Dans notre pays, il n’y a pas beaucoup de choses pour les personnes handicapées, ce n’est pas la priorité de l’Etat. Nous les sœurs voyions que les jeunes handicapés n’allaient pas à l’école ; ils restaient à la maison. Il fallait faire quelque chose, les aider à sortir ! Lorsque la congrégation a décidé de lancer le projet, ils m’ont demandé de le piloter.
Nous les sœurs voyions que les jeunes handicapés n’allaient pas à l’école ; ils restaient à la maison. Il fallait faire quelque chose, les aider à sortir !
J’ai créé Le Sénevé en 2006, dans la vieille ville de Homs, au sein de notre couvent. Au début, nous avons commencé avec trois enfants, puis cinq. La congrégation a hésité à fermer le centre, car nous n’étions pas nombreux et nous manquions de moyens. Mais je ne voulais pas arrêter : dans la Bible, même s’il n’y a qu’une seule personne à sauver, Dieu ne renonce pas !
Ensuite, en 2008-2009, une association européenne, l’IECD (Institut européen de coopération et de développement) nous est venue en aide. Un couple de l’Arche du Caillou Blanc est venu comme bénévoles pendant 2 ans. Grâce à ces aides, on a pu acheter du matériel et embaucher des éducatrices, ce qui nous a permis d’accueillir plus d’enfants. Comme dans l’Évangile, la graine de Sénevé commençait à donner un grand arbre !
Aujourd’hui, 125 jeunes viennent au centre tous les jours, et repartent dans leur famille le soir. On y dispense les apprentissages scolaires jusqu’à 16 ans, et, au-delà, des ateliers : bois, couture, etc. Les groupes d’ateliers restent toute la journée, avec un repas à midi. Nous accueillons des enfants avec des difficultés intellectuelles, des jeunes trisomiques, autistes. Certains sont chrétiens, mais ils sont très majoritairement musulmans. L’équipe qui travaille dans le centre est, elle, composée de chrétiens, laïcs. Au total, une quarantaine de personnes travaillent à l’encadrement et au soin.
Les aider à sortir
Je ne connaissais pas vraiment le handicap avant de créer ce centre. Mon premier contact a été avec un enfant trisomique, Hatem (NB : le prénom a été changé). Ses parents, plutôt aisés, ne voulaient pas qu’on sache qu’ils avaient un enfant handicapé. Quand on lui demandait combien elle avait d’enfants, la maman répondait : 3 garçons, et Hatem… Alors il restait chez eux, sa mère ne l’emmenait jamais faire une promenade… Quand il est arrivé chez nous, c’était la première fois qu’il sortait. Il était très agressif. J’ai beaucoup travaillé avec lui, et il a vraiment changé.
Une année, pour le ramadan, j’avais promis à sa famille de lui rendre visite. Pour Hatem, c’était une fête que je vienne chez lui. Mais au moment du repas, il avait disparu : ses parents l’avaient envoyé dans sa chambre, pour qu’il mange avec la femme de ménage. J’ai protesté en disant à ses parents que si Hatem ne venait pas à table, je ne mangerai pas, et je m’en irai… Alors il est venu ; je n’oublierai pas sa joie à ce moment-là !
Parents et frères et sœurs
Au centre, nous travaillons beaucoup avec les parents, notamment pour les aider à accepter le handicap. Nous avons un programme spécial pour eux, ainsi que pour les frères et sœurs. Parfois les frères et sœurs viennent jouer avec leur frère handicapé chez nous, ce qu’ils ne font pas toujours à la maison.
Mon rêve serait de faire quelque chose comme l’Arche, des foyers pour accueillir les jeunes, une fois que leurs parents sont décédés. Mais cela demande beaucoup de préparation et d’argent.
Nous cherchons à développer les talents des personnes handicapées, à les mettre en avant. Par exemple, pour le 3 décembre, journée internationale des personnes handicapées, nous préparons une grande fête pour sensibiliser au handicap : les jeunes handicapés font le service au buffet, et ils préparent des petits gâteaux avec des phrases à partager.
La guerre qui a éclaté en 2011 a été une période terrible. Beaucoup de Syriens ont perdu soit une maison, soit un travail, soit un membre de leur famille… Notre quartier a été parmi les plus ravagés. En 2012, nous avons été obligés de déménager dans un quartier plus calme, sans jamais cesser notre accueil. Deux ans plus tard, nous avons pu réintégrer nos locaux, et commencer des travaux de réhabilitation, car tout était endommagé. Nous avons continué la mission jusqu’à présent.
Aujourd’hui, c’est calme ; mais nous vivons dans une ville triste. Beaucoup de choses sont dévastées… Avec la crise économique, les familles n’arrivent pas à se payer de médicaments, à se chauffer. Heureusement, au centre Sénevé, avec les enfants, il y a la joie, de l’enthousiasme, de la confiance. Cela aide à oublier. Je prie pour que la vie soit meilleure demain…
Recueilli par Cyril Douillet, avec Florent Bénard.
Merci à l’Œuvre d’Orient qui a rendu cette rencontre possible dans ses locaux.
Pour soutenir Sœur Samia et Le Sénevé : Syrie : accueillir les enfants avec un handicap (oeuvre-orient.fr