Dossier

Son corps est sacré

une femme trisomique
© Istock

Louise, 30 ans, porteuse de trisomie 21, est la dernière d’une fratrie de trois enfants. Elle a subi plusieurs agressions dans la rue dont la dernière a valu à son agresseur trois ans de prison ferme. Jérôme, son papa, revient sur ces moments douloureux.

Avec Cécile, ma femme, nous avons éduqué Louise à la pudeur. Comme beaucoup de personnes trisomiques, elle peut avoir tendance à être extravertie alors, nous lui avons toujours dit qu’il y a des choses qu’une fille ne doit pas faire en public. Dans la maison où elle habite avec huit autres jeunes femmes porteuses de handicap, elle a suivi une formation Teenstar adapté* où elle a bien assimilé tout le respect dû à son corps. Récemment, à une soirée, un garçon a soulevé sa jupe. Elle nous en a tout de suite parlé, parfaitement consciente que ce geste était déplacé.

Quand elle avait 20 ans, un collégien s’est approché d’elle dans la rue et a attrapé sa main pour la mettre dans son pantalon. J’avais été porter plainte avec elle. Pendant quelque temps, je l’ai suivi à distance quand elle partait rejoindre le centre occupationnel où elle se rendait chaque matin. J’étais prêt à bondir mais il n’est jamais réapparu. Au printemps dernier, elle a de nouveau été agressée sur le chemin de son foyer. Alors, qu’elle chantonnait, un homme de 70 ans s’est approché d’elle, lui a tordu le sein et lui a demandé si elle voulait coucher avec lui. Tétanisée, elle n’a pas crié. Des passants arrivant, l’homme est parti et Louise a rejoint son foyer en pleurs. Le centre nous a tout de suite contactés mais nous étions à 800 kilomètres de là.

Comparution immédiate

Quand j’ai été déposer plainte avec Louise, nous avons été reçus par un policier plein d’empathie qui lui a posé des questions factuelles pour pouvoir identifier son agresseur. Très courageusement, Louise a repris ses trajets et le même homme s’est de nouveau approché d’elle dix jours plus tard, mais cela s’est limité à un simple bonjour. Le centre a proposé que le comptable de l’établissement fasse le trajet avec elle chaque matin depuis l’arrêt de bus. Avec ma femme, nous avons trouvé cette attention très délicate. Nous avons invité Louise à emprunter un itinéraire différent, plus passant. Nous l’avons également emmenée voir une psychologue. Deux jours plus tard, le même homme s’est à nouveau manifesté en étant exhibitionniste. Une dame est passée au bon moment, et il est parti. Puis, cet individu s’en est pris à une autre jeune fille et il a été arrêté, placé en garde à vue.

Les enquêteurs ont fait le rapprochement avec l’agresseur de Louise. Il est passé en comparution immédiate. Ce fut une grosse épreuve pour notre fille, qui appréhendait d’être confrontée à son agresseur. Je pense que la présence de Louise a marqué le tribunal. Cela montrait à tous à qui cet individu était capable de s’attaquer. La présidente a posé à Louise des questions avec beaucoup de tact. J’ai senti que sa parole était écoutée, malgré la plaidoirie de la partie adverse qui voulait la faire passer pour une menteuse… L’homme a écopé de trois ans de prison ferme et d’une obligation de soins. La peine a été majorée d’un an car il s’en était pris à une personne vulnérable. Le soir même, il dormait à Fresnes. Mais il a immédiatement fait appel.

Prière pour son agresseur

L’été qui a suivi, nous n’avons pas souvent abordé le sujet avec Louise pour ne pas raviver les choses. A l’occasion d’un mariage, nous avons remarqué qu’elle restait plus collée à nous qu’en temps ordinaire, et qu’elle avait tendance à fuir les hommes. Elle faisait parfois de petites allusions à son agresseur mais sans s’appesantir. Le 10 août, fête de St Laurent, nous cherchions en famille les « Laurent » que nous connaissions afin de prier pour eux. Et tout à coup, Louise a suggéré de faire une prière pour son agresseur qui se prénomme Laurent…

Voilà Louise, voilà la jeune femme à qui cet homme s’est attaqué ! Elle refoule peut-être des choses qu’elle a du mal à verbaliser. Elle va retourner prochainement voir la psychologue. L’automne dernier a eu lieu une nouvelle audience. Nouveau stress pour elle qui évitait de regarder son agresseur. Mais je pense que j’étais encore plus perturbé qu’elle… Avec force, elle a clamé les deux mains posées sur la barre que son corps était sacré. Moment intense ! Le jugement mis en délibéré a été confirmé. À notre grand soulagement et à celui de Louise, il reste en prison.

Maintenant, pour protéger Louise, on est toujours un peu partagés entre le fait d’en faire trop ou pas assez. Si on est trop vigilant, elle sera perturbée. Si on ne fait rien et qu’elle est à nouveau agressée, quel est le bon équilibre ? Il est difficile à trouver et toujours à chercher.

Recueilli par Christel Quaix, ombresetlumiere.fr – 10 janvier 2022

*TeenSTAR adapté est un parcours d’éducation affective qui accompagne les jeunes filles en situation de handicap mental pour prendre conscience de leur corps, leurs émotions et apprendre la responsabilité.

Lire le dossier « Violences, abus maltraitances » : Ombres & Lumière n°245 (janvier-février 2022)

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