Chroniques
Sortir de la toute-puissance
Mon médecin traitant m’a envoyé aux urgences pour une douleur thoracique. Bien qu’ayant patienté quatre heures sur un lit, parfois dans un couloir, j’ai été contente de cette expérience. Pourquoi ?
Parce qu’au vu de mes troubles psychiques et de mes traitements, ce médecin aurait pu ne pas entendre ma plainte somatique, la minimiser ou l’attribuer faussement à ma pathologie psychique sans en rechercher la cause. Cela vous parait-il délirant ?
Sachez pourtant que beaucoup de patients avec une pathologie psychiatrique se plaignent de n’être pas « entendus » par leurs médecins, et on constate par ailleurs que leurs soins somatiques sont souvent laissés en friche…
Heureusement, ce médecin généraliste était totalement professionnel et prudent.
J’ai été satisfaite de ce moment passé aux urgences : d’abord parce que j’ai été soulagée d’apprendre que je n’avais rien d’anormal au cœur ni aux poumons, mais surtout parce que j’ai été bien traitée – dans les conditions qui sont celles de l’hôpital public actuel, certes. Je me suis sentie considérée avec dignité et sérieux par le personnel, de l’aide-soignant au médecin en passant par les brancardiers.
Bien que l’origine de ma douleur n’ai pas été identifiée, je peux affirmer la différence notable de traitement entre le mal somatique et le mal psychique.
Cela m’avait été dit, je l’avais lu. Et je l’ai constaté.
Je ne veux pas signifier par là que les soignants en psychiatrie sont tous maltraitants ou défaillants -non pas du tout. Je rends hommage à ceux qui portent un regard de dignité et d’espoir sur leurs patients malgré un contexte difficile…
Mais, je dois le dire aussi : la maltraitance personnelle et institutionnelle, je l’ai vécue à l’hôpital psychiatrique… Je vois deux raisons principales à la maltraitance : l’une tient dans le peu de moyens accordés à la psychiatrie, parent pauvre du système médical. L’autre tient dans le fait, je crois, qu’en tant que personne souffrant de troubles psychiques en crise, je dérangeais. Car j’étais à la fois autre, et semblable.
Autre par mes symptômes, autre par mon comportement ou par mon univers.
Semblable en réalité -car je n’étais pas si éloignée des soignants, tant nous sommes tous sur un continuum du « normal » au pathologique.
C’est même cette proximité-là qui peut faire peur, et entraîner paradoxalement un rejet et des conduites maltraitantes.
Aujourd’hui je suis passée du côté des « soignants » par mon métier. Je m’interroge sur le regard que je peux porter sur l’autre, sur le malaise que je ressens parfois dans la relation d’aide. J’ai la chance de bénéficier de temps d’inter-vision, de supervision et d’analyse des pratiques, qui sont des bons moyens de rectifier mes biais et mes représentations. Nous devrions tous nous interroger sur nos pratiques, ne pas avoir peur de nous remettre en question, pour sortir de la tentation de toute-puissance.
Sophie de Coatpont, ombresetlumiere.fr – 8 juillet 2024
Sophie de Coatpont, atteinte de bipolarité, se destine à être médiatrice de santé paire en psychiatrie. Elle suit actuellement une licence professionnelle à l’université et travaille dans une association à temps partiel, où elle apprend à accompagner des adultes avec un handicap psychique. Avec ses mots qui frappent sans jamais abîmer, trempés dans sa foi et sa soif de vivre, Sophie de Coatpont traverse le fil précaire de l’existence, en quête d’équilibre.