Sur les lèvres

Surdité romanesque

une petite fille lisant un livre, allongée
© Istock

Le rideau du premier confinement vient de tomber sur le monde. Nous sommes à la fin du mois de mars 2020. Confinée en télétravail chez mes parents, je reçois un message. Il vient d’une auteure de romans pour enfants qui a eu l’idée, après avoir visionné une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle je témoignais de mon parcours, de créer le personnage de la petite Aliénor, sourde de naissance.

Pour cela, elle a besoin de quelques informations. « Comment faisiez-vous pour suivre en classe ? Vos camarades en classe ont-ils appris à communiquer avec vous via la LPC ? », me demande-t-elle alors. Et s’ensuit une liste de questions pour créer un personnage fidèle à mon vécu. Emballée par son idée, je lui réponds et ajoute que c’est « super de sensibiliser les enfants à la surdité de cette façon » !

C’est ainsi que paraît, six mois après, le tome 4 des Quatre Aventuriers, publié aux éditions de l’Emmanuel, avec Aliénor, devenue une amie de la bande des quatre. Je voyais là une occasion rare de parler aux enfants, en toute simplicité, de la surdité. Mais j’étais loin de m’imaginer qu’il parviendrait, trois ans après, dans les mains d’une petite fille de 9 ans, au profil assez similaire au mien.

Cette petite, nous l’appellerons Claire*, utilise comme moi la LPC ; elle aussi est accompagnée d’une codeuse en classe, comme je l’ai été durant ma scolarité. Or, il y a autant de types de surdité que de personnes différentes… La LPC n’est pas un choix aussi connu et répandu que la langue des signes. Toute fière de sa trouvaille, elle montre son roman à sa codeuse, qui découvre mon interview à la fin du livre.

Me connaissant, elle me contacte et me propose d’écrire à Claire, « qui s’est vraiment identifiée au personnage du roman ». Touchée par sa démarche, je prends le temps de choisir une belle carte et de rédiger un mot à Claire. Je tiens à lui faire passer le message suivant : ne pas voir sa surdité comme un obstacle, mais au contraire, comme une force. « J’ai longtemps pensé que le fait d’être sourde m’empêchait d’être pleinement moi-même », lui expliqué-je, avec des mots que je tente, tant bien que mal, d’adapter à ses 9 ans. Je lui dis, avec délicatesse j’espère, qu’elle ne doit pas s’appuyer sur la surdité comme une excuse pour ne pas s’envoler de ses propres ailes. Mais de s’en faire au contraire une amie, une alliée.

La petite Claire m’a répondu, avec une franchise désarmante, avoir « pleuré » en lisant mes mots, mais qu’elle ne dirait jamais à un inconnu qu’elle porte des appareils. Elle a joint une photo à sa lettre, c’est une jolie fillette aux cheveux coupés au carré, dont le sourire est entouré de fossettes. En regardant son portrait, je me suis revue des années en arrière, ignorant ce que la vie me réserverait. J’ai revu le chemin parcouru jusqu’ici, malgré la fatigue d’écouter, les moments d’incompréhension entraînant de la frustration, les doutes sur mon avenir professionnel et personnel, et enfin les blessures infligées par le manque de bienveillance et d’attention des autres… Et j’ai rendu grâce.

Je ne sais pas ce qu’apporteront à l’enfant cette carte et ce livre. Peut-être un peu de cette confiance qui nous manque, parfois, lorsqu’on a un handicap. En écrivant cette lettre à Claire, j’avais le sentiment de remplir mon devoir d’aînée. En recevant la sienne, j’ai éprouvé la fierté d’avoir transmis quelque chose à mon tour, après avoir tant reçu. Puissent toutes les petites Claire, et plus largement tous les enfants porteurs de handicap, trouver ce déclic qui leur permet d’être heureux avec leur différence. De l’embrasser comme une force, et non plus comme un frein.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 6 novembre 2023

Portrait d'Alienor Vinçotte

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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