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Un ministre dyslexique, et combien derrière lui ?
Souvenez-vous. En janvier dernier, l’ancien ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, répondait aux critiques malvenues sur ses difficultés de français, en revenant sur son parcours difficile en raison de sa dyslexie, dans un entretien accordé au quotidien Le Parisien. Calculée ou non, cette prise de parole mettait le projecteur sur l’importance d’une meilleure connaissance publique de ce trouble, encore très mal interprété.
Trop « léger » comme handicap, souvent considéré comme un simple phénomène de mode, les troubles « dys » touchent de nombreux Français – environ 7% sont dyslexiques. Pris en ligne de mire sur les réseaux sociaux pour ses fautes de français, l’ancien ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Stéphane Séjourné (devenu en septembre 2024 Commissaire désigné à la Prospérité et la Stratégie Industrielle) se confiait l’hiver dernier au Parisien sur ce handicap dont on saisit encore mal les causes et les conséquences. « Très jeune, j’ai été diagnostiqué avec une très forte dyslexie », a expliqué le nouveau membre du gouvernement, qui a fait face à d’importantes difficultés, écrites et orales, jusqu’au début de ses études. « Il y a quinze ans, je n’aurais pas pu avoir la discussion que j’ai en ce moment avec vous. ». Stéphane Séjourné a dû réaliser un travail de rééducation de longue haleine pour se débarrasser de ses « défauts à l’oral ». « Des millions de gens ont cela », a-t-il commenté. « Je tiens à leur adresser un message : cela peut paraître insurmontable mais, regardez, tout est possible. Ne désespérez pas ! » .
Dans les faits, la dyslexie peine encore à être reconnue. « Un ministre a été attaqué là-dessus, mais beaucoup de gens ordinaires sont moqués, réellement, souligne Nathalie Groh, présidente de la Fédération française des Dys. Il faut arrêter de penser que les personnes n’ont pas bien travaillé à l’école et n’ont qu’à faire de la rééducation, alors que le trouble est là. Elles n’arrivent pas à stocker le mot dans la tête, c’est en ce sens un vrai handicap, qu’on ne reconnaît pas comme tel ». Les enfants dyslexiques ont beau multiplier les séances chez l’orthophoniste, les fautes d’orthographe, les difficultés de lecture et de compréhension restent un calvaire, dans un contexte où tout, quasiment, se joue à l’écrit à l’école.
Alice et Jonathan*, parents de deux filles « multidys », l’une lycéenne, l’autre collégienne, témoignent de cette difficulté à reconnaître un handicap qui s’apparente pour beaucoup à des défauts d’apprentissage, mais qui entame la confiance de leurs adolescentes au quotidien. « Nos filles ont une estime d’elles-mêmes très basse, un gros manque de confiance en elles, alors qu’à l’école on nous dit, ‘mais non, elles n’ont rien’ ou ‘elles s’en sortiront comme les autres’. En attendant, nos enfants ne sont pas considérés auprès de l’équipe éducative, ils continuent dans la difficulté, malgré nos demandes continues de rendez-vous. ‘On ne peut rien aménager’, c’est la seule réponse qu’on nous fait ».
« La difficulté, est que, quand bien même la reconnaissance du trouble peut être effective, l’accompagnement ne suit pas, notamment dans l’Education nationale », explique Nathalie Groh. Le parcours scolaire de Tanguy, 22 ans, reflète la réalité traversée par la plupart des jeunes dyslexiques : « Au primaire, c’était l’horreur, et au collège, c’était l’horreur », résume Tanguy, aujourd’hui réconcilié avec son trouble grâce à une responsable d’alternance, qui n’a cessé d’être à ses côtés pour l’aider à se corriger ou à progresser. « Je n’ai jamais reçu d’aide supplémentaire de l’Education nationale, mais je me suis beaucoup démené pour trouver les bonnes ressources, poursuit-il. D’un côté, on vous dit très tôt que vous avez une dyslexie, mais on ne vous dit pas comment s’en sortir… Un exemple tout bête : quand je suis arrivé en Première en cours d’anglais, mon professeur m’a regardé avec tendresse et m’a dit ´Je sais que c’est très compliqué, on va faire avec’, mais elle ne m’a rien promis de concret et ne pouvait rien faire. » L’Education nationale, de son côté, peine à satisfaire les demandes des parents, désarmés face aux difficultés croissantes de leurs enfants.
Dans le Loiret, par exemple, la situation est décrite comme « alarmante » concernant la validation des Projets d’accompagnement personnalisé par les médecins de l’Education nationale. Comme ces médecins ne sont que deux pour examiner près de 1000 dossiers, les délais avoisinent les deux ans. « Cette situation dégradée met en grande souffrance de nombreux jeunes et leurs familles », déplore Estelle Rossignon, présidente de l’Ecole des parents et des éducateurs du département, et bénévole à APF France Handicap.
« Sacerdoce », « parcours du combattant », les parents expriment la lourdeur des difficultés face à un trouble pris à la légère. « Entre le moment où l’on arrive à trouver un praticien pour faire les tests nécessaires, la reconnaissance des troubles et leur prise en charge, le délai est énorme, commentent Cécilia et Mathieu*, parents de deux enfants scolarisés à Orléans. À l’heure où l’on parle d’équité pour les personnes à différences, rien n’est vraiment fait pour faciliter cette inclusion. Il faut être un combattant pour trouver une place juste, au sein d’un système fait pour créer des profils stéréotypés et formatés. Nous croyons en la richesse par la différence. Nos enfants souffrent déjà d’un handicap dont ils n’ont pas voulu, qui les marginalisent. Le système nous impose de leur coller des étiquettes qui les marginalisent encore plus. »
Mieux aidé à partir du lycée, grâce à des enseignants bienfaisants mais aussi aux outils, comme les correcteurs ou l’Intelligence artificielle, Tanguy estime avoir aujourd’hui trouvé la confiance en soi. « La dyslexie reste un handicap quand même, – rien qu’aujourd’hui, par exemple, chez un prestataire, quelqu’un regardait l’écran quand j’ai écrit ‘Sésir’ à la place de ‘Saisir’. C’est toujours délicat de se faire reprendre. De même, on n’arrive pas à en entretien d’embauche en disant ‘je suis dyslexique’, c’est sûr. On cherche à s’en cacher, car c’est une vraie faiblesse. Mais ça apprend à faire deux choses à la fois, comme écrire et ouvrir une nouvelle fenêtre sur l’ordinateur pour s’autocorriger, et nous donne des capacités d’adaptation. »
Sans doute moins vite que les outils technologiques, les politiques publiques progressent tout de même. La directive européenne de 2019, relative à l’accessibilité des biens et des services, stipule que « toute personne empêchée de lire » doit avoir accès à des œuvres accessibles — en audio, en numérique ou en braille. Depuis, les médiathèques, entre autres, ont pris le virage et proposent un nombre croissant de contenus audio aux personnes dyslexiques. « Il y a volonté, une stratégie nationale, de faire de la communication pour changer les représentations, se réjouit Nathalie Groh. Il ne faut pas se résigner, car ça avance. » La toute récente campagne de sensibilisation, déployant la semaine dernière dans toute la France 500 affiches estampillées « Certified dyslexic », et parsemées de fautes, l’illustre bien.
Marilyne Chaumont, ombresetlumiere.fr – 24 janvier 2024
*les prénoms ont été changés à leur demande
Dyslexie : trouble spécifique de l’identification du mot écrit qui entrave l’automatisation de la lecture et de l’écriture. Elle se caractérise par des difficultés à lire de façon correcte et fluide et à comprendre le sens d’un texte. La personne dyslexique sera toujours très lente et fatigable pour lire ou écrire.