Un pas de biais
Un petit âne tranquille
Parfois, être heureux demande un petit effort de volonté. Ces dernières semaines, j’ai choisi de déceler dans mon environnement une situation poétique par jour. De prime abord, cette décision peut sembler artificielle, un peu décalée, voire hors sol. Mais en fait, c’était une expérience aussi simple que forte : mes yeux se sont ouverts sur des réalités passées jusqu’alors inaperçues. Deux merles sur un arbre nu se découpant sur le ciel clair, comme ombres chinoises. Les volets rouges d’une maison au beau milieu d’un quartier gris. Une maman japonaise tenant par la main sa petite fille, qui ce jour-là portait des ailes de coccinelle : elle allait sans doute à une fête. Et je les entendais fredonner une chanson enfantine dans un langage inconnu, en un échange de regards infiniment plein de tendresse. Ces images sont emmagasinées dans ma mémoire, comme des photos accrochées le long du fil parfois chaotique de mon quotidien, et m’aident à vivre.
Alors que la Semaine Sainte commence, je me penche aussi sur les images de l’Évangile. Je pense à l’or, à l’encens, à la myrrhe et aux rois mages qui s’agenouillent. Je pense au flacon de parfum précieux de Marie-Madeleine. Je pense au petit âne paisible monté par Jésus – qui n’a pas choisi, pour sa montée vers Jérusalem, un cheval noble ; mais un animal tranquille, familier. Toutes ces images m’aident à vivre. Elles m’aident à envisager cette grande montée vers Pâques.
C’est si dur de se dire que Jésus va souffrir. Et que je vais devoir le suivre. Je n’ai pas envie de souffrir. Je n’ai pas envie de mourir, ni à moi-même, ni tout court. Je voudrais passer directement à la résurrection et j’ai du mal à comprendre pourquoi, mon Dieu, pourquoi Jésus n’a pas choisi le cheval du guerrier. Pourquoi il faut passer par la Croix, et pas seulement à Pâques, mais plusieurs fois par jour, parfois. Le handicap et son cortège d’injustices, de fatigue, d’angoisses me le font bien sentir.
Alors, je suis pleine de gratitude pour cette beauté du quotidien, source inépuisable d’apaisement et de joie. Elle m’aide à envisager la Crucifixion et constitue un avant-goût simple et silencieux de la Résurrection.
Cécile Gandon, ombresetlumière.fr – 25 mars 2024
Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle vient de publier « Corps fragile, cœur vivant » (Emmanuel).