Un pas de biais

Un petit pot de basilic

portrait de Cécile Gandon

Je regarde mon pot de basilic sur le bord de ma fenêtre. Le pauvre, il souffre violence, ces derniers temps. Il tremble sous les rafales et se noie. Puis, il pique du nez parce qu’il fait trop chaud et qu’il manque d’eau. Ses feuilles essayent de pousser, puis jaunissent. Il est hypersensible au climat environnant. Je suis pleine de compassion pour lui : on dirait moi.

Parfois, j’ai l’impression d’être née trop sensible pour le monde qui m’entoure. Comme s’il me manquait une carapace. Alors, je m’en crée une de manière malhabile, et tout mon être se recroqueville pour ne plus laisser de prise aux attaques ; préserver au fond de mon cœur le petit foyer de joie et de douceur qui, heureusement, ne cesse pas d’exister.

Est-ce une conséquence de ma naissance prématurée ? En tout cas, cela fait partie des symptômes que je partage avec tous ceux qui ont le même handicap que moi. Tout m’atteint à la puissance dix.

Un regard un peu insistant, un mot un peu maladroit. Les tensions entre deux personnes. Le manque d’attention ou de disponibilité des gens que j’aime. Le survoltage électoral. L’électricité olympique. On dirait que je suis au cœur d’une centrale ! Je me demande souvent comment je vais tenir debout. C’est bien la question, pour moi qui déjà, au naturel, ai un sens de l’équilibre assez approximatif.

Un matin de grosse bourrasque, je m’en suis ouverte à un collègue. « Parfois, je me demande si je suis vraiment faite pour ce monde : il est trop dur pour moi », me suis-je entendu dire. « Je ne crois pas », m’a-t-il répondu. « Tu pourrais prendre les choses autrement. Ce sont peut-être les gens comme toi qui peuvent rendre le monde plus sensible. » Bienheureux collègue qui me conduit, avec délicatesse, à une conversion du regard !

Depuis, je regarde mon pot de basilic un peu autrement. Oui, il est en proie à la violence climatique, et parfois me fait peine. Mais il m’alerte aussi sur les signes des temps. Il me pousse à m’arrêter pour l’arroser, à faire attention à la couleur de ses feuilles, au niveau d’humidité de son terreau. J’admire sa persévérance à pousser. Je le trouve beau. Et je veux préserver sa beauté. Parce que j’en ai besoin pour continuer d’espérer. Comme lui, n’est-ce pas tout ce qui est fragile qui, finalement, me rend le monde aimable ?

Cécile Gandon, 1er juillet 2024

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle vient de publier « Corps fragile, cœur vivant » (Emmanuel).

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