Un pas de biais
Vieillir est une chance
« Vieillir est une chance ». Cette phrase affichée en gros caractères sur une publicité, en devanture d’une pharmacie, a attiré mon regard. Pour la plupart des gens, vieillir fait peur. C’est en principe tout sauf vendeur, et il est fort probable que cette même pharmacie propose en rayon des crèmes anti-rides. Mais j’ai trouvé ce slogan audacieux. C’est peut-être un signe des temps : les gens ont sûrement soif qu’on leur offre une vision positive de l’avenir. Serait-ce une vision mensongère ?
Nombre de mes amis passent ces temps-ci le cap de la quarantaine, et pour certains, c’est comme s’ils passaient l’arme à gauche. « Je commence à avoir mal au dos. » « Je me rends compte que je ne peux plus enchaîner les nuits blanches. » « Je suis obligé d’aller chez le kiné. » Bref, les pauvres. Je les écoute, je compatis, et je ris sous cape. Enfin, ils vont comprendre de l’intérieur ce que je vis depuis le berceau ! Nous allons enfin pouvoir communiquer sans décalage.
En réalité, avant d’être une chance ou une malchance, vieillir est simplement un état de fait. On n’a pas le choix. Si chance il y a, j’oserais dire qu’elle est d’abord là : vieillir nous est commun à tous. Nous faisons au fil des ans une expérience que ceux d’avant nous ont déjà traversée, que ceux d’après nous traverseront aussi : nous avons un terreau commun, qui est celui de notre humanité, et je trouve cela réconfortant. Même si chacun vit sa traversée, nous pouvons en pleurer ou en rire ensemble.
Dans le même temps, il m’a été donné de rencontrer une vieille dame de 86 ans, en compagnie de sa fille. Nous sommes voisines. Je ne saurais décrire la joie et la tendresse que j’éprouve pour elles à chaque fois que je les vois. La maman pose sur toute chose un regard doux, parfois son esprit se perd un peu, pour se raccrocher aussitôt aux personnes présentes auprès d’elle. Je vis à travers son sourire, le mystère de la présence, de la vie simple, et il me semble qu’avec elle, le temps s’arrête. Alors, c’est comme si le mot « vieillesse » n’avait plus aucun sens, la tendresse seule subsiste.
Quand je pense à elle, je me dis que oui, vieillir est peut-être bien une chance. Pas seulement une chance pour la personne elle-même qui acquiert en sagesse, en intériorité, en connaissance de soi. Mais aussi pour le monde autour d’elle. La personne qui accueille le passage du temps sans résistance permet à chacun d’ouvrir les mains à son tour, et à la vie de continuer de jaillir.
Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 25 novembre 2024
Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon met sa créativité et sa finesse au service de la Fondation OCH. Elle a publié « Corps fragile, cœur vivant » (Emmanuel).