Restons poly
Voir le monde ?
Interne dans une Maison d’accueil spécialisée de L’Arche (Mas), Marie Océane y a des activités matin et après-midi, qui correspondent à ce qu’elle peut faire, à ce qu’elle devrait faire pour évoluer. On voudrait qu’elle progresse en communication non verbale, puisqu’elle ne parle pas, en motricité, puisqu’elle ne marche pas, en autonomie, puisqu’elle est dépendante à 200%. Et comme notre fille aime la musique, elle se voit proposer des activités en lien avec la musique et le chant. Tout pour nous rendre heureux pour elle.
Mais l’an dernier, l’équipe a souhaité mieux connaître les souhaits de ces adultes polyhandicapés ou autistes sévères pour leurs activités, et pour leur vie. Elle leur a proposé des pictogrammes ou du matériel réel signifiant. Le résultat m’a beaucoup plu : il ne correspondait pas forcément à ce que nous, parents, éducateurs, soignants, pensons pour eux. Ce qu’ils souhaitaient, tout simplement ? être tranquille, – représenté par un plaid ; voyager – représenté par une valise ; se promener ou faire des sorties – représenté par des chaussures de marche. Tout un programme ! Programme, qui, si je réfléchis bien, sied à merveille à Marie Océane, et à la majorité du groupe apparemment. Tout un programme, ce n’est pas si compliqué.
Nos jeunes ne souhaitent pas faire, faire, faire toujours quelque chose. Ils ne souhaitent pas être forcément rééduqués, travailler à tout moment sur leur handicap. Ils veulent voir loin, ce qui se passe autour d’eux, dans le monde, d’où leurs souhaits de sorties et de voyages. Ils ne veulent pas toujours faire des choses. Ils aspirent à de la tranquillité. Je trouve cela sain : ces désirs prouvent, encore une fois, que même lourdement handicapés, on a encore envie d’aller voir le monde, d’apprendre ailleurs que chez soi. Ces aspirations me confortent dans ce que je demande depuis toujours pour Marie Océane et ses compagnons de vie : qu’elle ne reste pas toujours enfermée à l’intérieur, qu’elle vive, qu’elle sorte, qu’elle participe à la vie sociale, culturelle et spirituelle. Elle n’est pas que son polyhandicap. Elle est une personne.
À L’Arche heureusement, tous ceux qui vivent avec les personnes accueillies ont envie de les rendre heureuses et de vivre ces découvertes à l’extérieur avec elles. Mais de plus en plus, par ignorance, par mesure budgétaire, l’Agence régionale de santé (ARS) diminue le nombre de personnes qui s’occupent d’un groupe d’adultes polyhandicapés ou autistes sévères. Ces restrictions les empêchent d’aller dehors, de se promener, de voyager et de voir le monde. J’en suis triste pour eux.
Caroline Saillet, 7 octobre 2024
Psychomotricienne par vocation, Caroline Saillet a toujours été proche des personnes porteuses de handicap. Mariée à Hubert Saillet, notre ancien chroniqueur, elle est mère de cinq enfants, dont Marie Océane, polyhandicapée. Bricoleuse, créative, un peu hyperactive, elle dévoile des recoins du quotidien et des réflexions sur le polyhandicap en partant de son expérience.