Un pas de biais

Dialogue sur un banc

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Adolescents filant à toute allure sur leurs rollers, slalomant entre les obstacles ; jeunes sportifs faisant le tour du parc au pas de course en montrant leurs mollets musclés ; jeunes femmes dont la grâce semble rendue encore plus évidente par leurs robes légères… Dimanche dernier, le printemps a mis sous mes yeux une floraison de corps en bonne santé, insouciants, légers.

Comme ces gens sont beaux. Comme ils ont de la chance. Comme leur grâce, leur facilité à se mouvoir me fait envie, pensais-je…

Et voilà ma compagne, l’envie, et sa commère la jalousie, qui s’assoient sur le banc à côté de moi. La jalousie m’énerve : elle s’invite toujours sans que je le lui demande et je ne sais jamais trop quoi faire d’elle. Je regarde ma canne, mes chaussures orthopédiques (montantes, bien sûr, alors que l’été arrive) auxquelles je ne parviens décidément pas à m’habituer. J’ai bien essayé de marcher sans canne. Mais j’ai vu mon reflet avancer dans le miroir d’une vitrine, et c’était cruel. Ce n’est tellement pas moi ! Mais hélas tellement moi quand-même…

Quand ce corps difforme-le mien- retrouvera-t-il sa beauté première ? Je ne peux imaginer que Dieu m’ait conçue boiteuse. Alors je rêve à celle que j’étais peut-être, avant de naître, dans le cœur de Dieu, puisqu’il parait qu’il m’aime et me connait de toute éternité. Si c’est Dieu qui m’a créée, je devais être assez belle !

Alors je raisonne : si c’est « de toute éternité », alors, c’est aussi maintenant. Oui, l’éternité, c’est maintenant. Et me voilà en dialogue avec Dieu, qui s’est manifestement, lui aussi, invité sur le banc : « Mais alors, vraiment, tu m’aimes aussi maintenant, maintenant sur ce banc, avec cette canne et ces chaussures ? » J’avoue, c’est tellement fou que j’ai du mal à y croire. Ce corps que je n’aime pas, Dieu l’aimerait…

Jalousie, désarçonnée, a quitté la place. Incrédulité, stupéfaction, vertige, puis gratitude lui ont succédé en un ballet désordonné. Et puis, comme je suis bien humaine, l’envie est restée là. Elle me picote un peu, mais elle ne me gêne pas. Au fond, c’est peut-être elle qui m’a ouvert la porte du désir.  Et du désir à la prière, il n’y a qu’un pas.

Cécile Gandon, Ombresetlumiere.fr- 27/04/2021

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