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Présidentielles : le grand débat handicap

Pierre Deniziot et Matthieu Annereau ©Caroline de La Goutte

De petite taille, Pierre Deniziot est maire-adjoint à Boulogne-Billancourt et conseiller régional LR d’Ile de France. Non-voyant, Matthieu Annereau est conseiller municipal à Saint-Herblain (44), député suppléant (LREM) à l’Assemblée nationale et président de l’APHPP (Association pour la Prise en Compte du Handicap dans les Politiques Publiques et Privées). L’un est engagé auprès de Valérie Pécresse, l’autre soutient Emmanuel Macron en vue des présidentielles. Entretien croisé.

Le sujet du handicap est entré dans la campagne fin janvier, via les déclarations polémiques d’Éric Zemmour sur « l’obsession de l’inclusion » à l’école et la défense des établissements spécialisés. Avec du recul, considérez-vous qu’il avait tout faux ?

Pierre Deniziot : C’est une intervention qui était très maladroite dans sa sémantique, lorsqu’il a dit que l’inclusion était « une mauvaise manière faite aux autres élèves » … Ça manquait de nuances, sur un sujet aussi sensible. Sur le fond, je pense qu’il faut globalement aller dans le sens de l’école inclusive, et lui donner des moyens ; sans abandonner les structures spécialisées qui ont une expertise, un savoir-faire, et qui ont besoin de moyens également.

Matthieu Annereau : Sur le handicap comme sur d’autres sujets, Eric Zemmour a une vision trop manichéenne des choses, très tranchée. Ce n’est pas : ou l’inclusion ou les instituts spécialisés. L’inclusion est l’objectif, et les établissements spécialisés doivent être plus ouverts sur la société. J’ai été davantage choqué encore quand il a dit quelques jours après que ce n’était pas aux parents de décider quelle voie pouvait emprunter leur enfant handicapé.

Le secteur handicap connaît une forte pénurie de personnel qui fragilise le soin aux personnes handicapées, accentuant un phénomène préexistant. Que préconisez-vous ?

PD : Le Ségur de la santé a laissé le sentiment qu’il y avait des métiers essentiels, et d’autres non essentiels. Les métiers de l’accompagnement ont été oubliés.

Une autre difficulté dans les grandes métropoles est celle du logement pour ces salariés, qui ont souvent des trajets très longs. Nous proposons que ces personnes soient prioritaires dans l’accès au logement social. C’est une vraie réponse au turn-over des équipes. Ensuite il y a la question de l’image de ces métiers de l’humain, qui ne sont pas assez valorisés dans notre société.

MA : A l’occasion de la crise sanitaire, on a redécouvert l’importance de maintenir à flot le système de santé ; on a découvert le manque d’investissement dont il fait l’objet depuis des décennies.  Mais faut aller plus loin que la seule réaction à la crise.

Sur les métiers en tension, il y a plusieurs facteurs. Le chômage baissant, il y a moins de demandeurs d’emploi pour ce secteur. Par ailleurs, il y a un bouleversement du rapport au travail chez les nouvelles générations : on change souvent de travail voire de métier. Beaucoup d’entreprises n’ont pas intégré cette évolution. La question de la formation continue est centrale

Je pense qu’il faut globalement aller dans le sens de l’école inclusive, et lui donner des moyens ; sans abandonner les structures spécialisées qui ont une expertise, un savoir-faire, et qui ont besoin de moyens également.

Pierre Deniziot

Pensez-vous que le sujet handicap est un thème important de cette campagne ?

PD : Le sujet handicap est central dans la présidentielle : il interroge tous les candidats sur la place de la différence et sur quelle société on veut. Quelle éthique ont-ils de la vulnérabilité et de la fragilité ? Quelle place pour les personnes handicapées dans une société qui se concentre sur les « premiers de cordées », la « start-up nation » ?

MA : Oui, ce sujet va s’imposer dans cette élection, notamment autour de l’accessibilité. Des personnalités loin du handicap s’en emparent. Ce sujet est de plus en plus perçu comme un vecteur de transformation de la société.

Mathieu Annereau, quelles ont été, selon vous, les réussites de la présidence Macron en matière de handicap ?

MA : Il y a eu les droits à vie, qui étaient très attendus. Sur le champ de la citoyenneté, l’accès au vote pour les personnes handicapées sous tutelle. Au-delà des mesures, je crois que ce quinquennat a permis que la question du handicap soit mise sur la table. C’est une prise en compte globale qui a avancé.

Pierre Deniziot, quel regard portez-vous sur ce quinquennat ?

PD : C’est un quinquennat où l’on a en effet parlé de handicap – alors qu’il avait été complétement délaissé sous François Hollande… Il y a eu quelques avancées, mais aussi des déceptions pour les familles et beaucoup de slogans. On a beaucoup parlé, annoncé l’ « école inclusive », « zéro famille sans solution»… Mais derrière ces slogans, peu de moyens ont été mis en œuvre. Ce n’est pas lié à la secrétaire d’Etat, qui a beaucoup travaillé ; mais elle a sans doute perdu beaucoup d’arbitrages budgétaires. La priorité du quinquennat qui vient, ça va être de se donner les moyens de son ambition.

Quels sont les propositions phares de Valérie Pécresse ?

PD : Sur l’école, nous voulons donner un vrai statut aux AESH et permettre que chaque enfant bénéficie de l’accompagnement dont il a besoin pour aller à l’école. Nous proposons aussi que les parents d’enfant handicapé qui vieillissent puissent s’assurer que leur enfant ne manquera de rien lorsqu’ils disparaîtront. Valérie Pécresse s’est aussi positionnée en faveur de l’individualisation de l’AAH.

Matthieu Annereau, quelles mesures défendez-vous pour la suite ?

MA : Je pense qu’est souhaitable une réorganisation de la politique du handicap en France. Des réformes ont été menées, mais elles ne sont pas assez perçues sur le terrain. Il faudrait peut-être que le secrétariat d’Etat soit transformé en ministère, afin d’être plus fort dans les arbitrages ; il faudrait rendre les MDPH moins inégalitaires ; et qu’elles se recentrent sur l’accueil et le conseil aux familles. Deux autres sujets sont centraux : l’école inclusive avec un secrétariat d’Etat dédié ; l’accessibilité universelle (bâtiments, logements, voirie, transports…), avec également un secrétariat d’Etat.

Au-delà des mesures, je crois que ce quinquennat a permis que la question du handicap soit mise sur la table. C’est une prise en compte globale qui a avancé.

Matthieu Annereau

Des personnes handicapées comme Philippe Pozzo di Borgo ont exprimé leur crainte relative à une éventuelle loi sur l’euthanasie. Qu’en pensez-vous ?

PD : Un sujet comme la fin de vie peut avoir sa place dans la présidentielle. Mais je ne crois pas qu’un candidat doive se prononcer pour ou contre. On ne peut pas y travailler comme ça, en quelques semaines avant l’élection. Ce sujet demande qu’on prenne le temps, qu’il infuse dans la société, pour qu’émerge une réflexion, si possible détachée d’un temps politique et d’une élection. Le sujet est trop grave ! A titre personnel, je suis opposé à l’euthanasie et partisan d’un accompagnement de la fin de vie, avec les moyens nécessaires pour les soins palliatifs notamment, jusqu’au dernier moment.

MA : C’est un sujet grave. Il n’y a pas de raison qu’il soit tabou pendant cette campagne. Mais toute décision tranchée sur ce sujet conduirait à cliver la société. Le tout est de savoir comment consulter au mieux les personnes, comment on prend en compte tous les avis, les expériences étrangères. C’est un travail de longue haleine. Tout réside dans la méthode.

PD : Auprès de Valérie Pécresse, je porte aussi une proposition : la création d’un conseil éthique du handicap. On a besoin d’une instance de réflexion non politique, sur des questions qui se posent de plus en plus : par exemple, pendant la crise covid, comment ont été accueillies les personnes handicapées dans les services de réanimation ; leur consentement sur la vaccination…

On voit se développer en ce moment un discours assez virulent autour du handicap, avec le validisme et une affirmation forte des droits…Qu’en pensez-vous ?

MA : Je n’y suis pas favorable. Certes il faut que les personnes accèdent aux droits. Mais les revendiquer de manière violente, en sortant d’une vision universaliste, non. Ce n’est pas de cette manière-là qu’on fera bouger les autres. Une minorité qui veut « renverser la table » prend le risque de cliver encore plus la société, et le risque est que les personnes valides fassent un pas de recul vis-à-vis des personnes handicapées.

PD : Je n’aime pas non plus ce tournant pris par certaines personnes ou associations, qui voudraient calquer le combat des personnes handicapées sur celui des woke et des féministes. Il faut rechercher le commun, pas ce qui nous différencie des autres. Et le commun, c’est l’égalité des droits, l’égalité des chances, c’est l’égale dignité et l’égale considération.

Propos recueillis par Cyril Douillet, ombresetlumiere.fr – 10 février 2022

Retrouvez l’autre partie de cet entretien dans le dossier du N°246 d’O&L, Le handicap, un enjeu politique, disponible début mars.

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