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[TÉMOIGNAGE] « J’ai parlé de ma bipolarité au travail car cela devenait trop lourd à cacher »

portrait de François
© DR.

Pour la Semaine européenne de l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) qui a débuté hier, le 18 novembre, Ombres et Lumière revient sur la difficulté d’allier vie professionnelle et trouble psychique à travers l’histoire de François, 41 ans, qui a assez vite évoqué sa bipolarité à sa hiérarchie et ses collègues… au risque de subir quelques déconvenues.

Mes troubles de la bipolarité ont été diagnostiqués en 2017, après une énième dépression. À ce moment-là, je travaillais dans l’administration publique, en tant que coordinateur de projets. J’y suis encore aujourd’hui. C’est un travail que j’aime bien. Assez vite après avoir été diagnostiqué, j’en ai parlé à mon équipe. Nous formions un trinôme. L’annonce a plutôt été bien accueillie. En 2019, j’ai commencé à en parler plus largement car des situations devenaient vraiment gênantes. Mon traitement me causait des effets secondaires détestables. Parfois j’étais en pleine réunion et devais sortir car étais pris de vomissements… Certains pensaient que j’avais fait la fête la veille… C’était vraiment très lourd à cacher. Sans me promener avec une pancarte « je suis bipolaire » dans les couloirs, j’en ai donc davantage parlé autour de moi.

Dans la foulée, fin 2019, j’ai parlé de ma RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, ndlr) à mon employeur. J’en bénéficiais déjà d’une mais, jusqu’à présent, je ne l’avais pas fait valoir. La médecine du travail a alors soumis des recommandations à mon entreprise. Elle proposait notamment que je fasse du télétravail les jours où j’ai de lourds effets secondaires à cause des médicaments. Je n’ai eu une réponse qu’au bout de neuf mois… Et il ne s’est rien passé en acte. Je ne comprenais pas cette dichotomie entre les paroles et les actes, j’ai été très déçu. D’autant que mon administration se targue d’être un lieu où l’inclusion est importante.

Des relations entre collègues qui se dégradent

En janvier 2020, j’ai été arrêté car mes crises avaient repris avec force. Je suis devenu papa d’un petit garçon l’été 2021 et ce changement de vie, le manque de sommeil ont fait que j’ai de nouveau eu des crises plus fortes. En bref, ma maladie fait que j’alterne autour de trois phases : des phases maniaques où je deviens surproductif, mes capacités de travail, de créativité et d’analyse augmentent drastiquement. On m’a déjà demandé si je prenais de la cocaïne tant cette hyperactivité se ressentait. Mon cerveau tourne à mille à l’heure. Pour mon travail, c’est souvent très productif car j’abats une quantité de travail importante mais c’est dangereux pour moi. Puis viennent des phrases de dépression, où tout est au ralenti, j’ai des idées sombres. Et la dernière phase est ce qu’on appelle un « état mixte » car elle mélange le trop-plein d’énergie et les idées sombres. En termes de risques suicidaires, cette phase est la plus dangereuse.

J’ai vraiment vu le regard et le comportement des autres changer et rien n’a été initié pour que je sois mieux au travail.

Au travail, j’ai vu mes relations entre collègues se dégrader petit à petit. Les gens n’osaient pas me dire certaines choses. Je sentais que l’on ne pouvait plus me faire de reproches car j’étais malade. Mon arrêt pour maladie grave, au départ jusqu’en mai puis prolongé jusqu’en mars prochain, a beaucoup désorganisé mon équipe. Ça a été très compliqué avec ma collègue binôme car elle a repris une grande partie de ma charge de travail et ça n’a pas été bien accompagné par nos responsables. Avant, on s’entendait bien. Désormais, il y a une forme de gêne quand on se revoit. À un moment, j’en suis presque revenu à regretter de l’avoir dit ! J’ai vraiment vu le regard et le comportement des autres changer et rien n’a été initié pour que je sois mieux au travail.

Pourtant, ma responsable est très humaine, je ne sens pas de malveillance de sa part mais elle ne sait pas quoi répondre à ce que je vis. Comme une sorte de non-prise en compte de l’individu par rapport au collectif. Pourtant, j’avais plein d’idées pour aménager mon poste de travail. Je me suis renseigné. Idéalement, il me faudrait un bureau individuel et non en open space car, en plus d’être bipolaire, je suis aussi malentendant. Trop de bruits me fatiguent.

Pas de soutien moral

La clef de la réussite dans tout ça, ce sont les ressources humaines. Mais il n’y a jamais eu de volonté d’œuvrer en ce sens. Je suis également représentant du personnel depuis quatre ans, et, sur les questions de santé et de handicap, et il ne s’agit pas que de mon cas. J’ai bien vu que des aménagements de postes pour d’autres collègues handicapés ou malades étaient très compliqués à mettre en place. L’impulsion doit venir de la direction.

Ce qui a été difficile aussi, c’est le peu de soutien moral de la part de mes collègues. À part une collègue que je voyais en dehors du bureau, et qui est devenue une amie, je n’ai reçu aucun mail, aucun message de leur part. Malheureusement, l’isolement va souvent de pair avec la maladie. Heureusement que je suis bien entouré à côté et que j’ai une vie sociale. Je suis avec ma compagne depuis vingt ans.

Aujourd’hui, dans mon travail, je n’ai plus l’énergie de me battre

Quand je relis mon parcours, mes premières crises ont commencé vers l’âge de dix ans. C’était une forme de grosse dépression. À l’âge de 18 ans, j’ai fait ma première tentative de suicide. J’en ai fait deux autres après. Entre 2003 et 2014, j’ai quasiment mené une vie normale. Puis en 2014, c’est revenu. Mais mon parcours professionnel est devenu très haché. J’ai changé de métier un bon nombre de fois. Je me souviens avoir été consultant chef de projet en Afrique. Au bout de quinze jours sur place, je suis partie en vrille. Des idées noires, du stress m’ont submergé… Au bout d’un mois, j’ai mis fin à ma mission et suis retournée en France. Personne n’a compris. Après coup, j’ai su qu’il s’agissait d’une crise. Sur une autre mission, dans les ressources humaines, j’ai explosé en plein vol au bout de neuf mois…

C’est difficile ensuite d’expliquer à un entretien d’embauche tous ces changements de boulot aussi rapides. J’ai déjà rallongé certaines périodes de travail sur mon CV pour camoufler un peu cette instabilité. C’est lié à ma maladie mais je suis du genre à vite m’ennuyer quand il n’y a pas de changements. Ce qui fait que j’ai toujours été embauché par des personnes plutôt « atypiques » et qui comprenaient ce côté !

Aujourd’hui, dans mon travail, je n’ai plus l’énergie de me battre. C’est trop usant de demander sans cesse, de voir que chacun se renvoie la balle… Je songe à changer de travail et demander une rupture conventionnelle. J’aimerais lancer mon activité de coach thérapeute et, à côté, avoir une activité salariée plus tranquille, à mi-temps.

Recueilli par Guillemette de Préval

Retrouvez l’ensemble du dossier « Dévoiler son handicap au travail », dans le n°256 d’Ombres & Lumière.

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