Une vie de maman

L’écrasatateur

une femme avec des médicamentss
© Istock

Chaque soir et chaque matin, je prépare les médicaments de Paul. C’est un rituel immuable et automatique. J’attrape le sac où je range toutes les boîtes, puis je me concentre pour ne pas me tromper : le petit cachet jaune d’abord, puis un et demi gros cachet ovale, puis le cachet blanc. Tout doit être réduit en poudre dans l’« écrasatateur » et mélangé à une cuillère de yaourt. L’« écrasatateur », c’est le nom que nous avons donné à une petite boîte dont le cône intérieur est capable de broyer, en forçant un peu, un comprimé en béton. C’est la version élaborée du coin du verre sur la table…

Tous les soirs et tous les matins, je pense à préparer ces traitements. Ils doivent être donnés à heures fixes sans quoi Paul risque une crise d’épilepsie sévère.

Le plus difficile, c’est le matin. A peine levée, je suis obligée de penser à ça. Comme si le handicap, le poids de l’accompagnement de Paul, ne pouvait me laisser le répit d’un café matinal. Alors pour éviter de commencer la journée en rageant intérieurement, j’essaie de me tourner vers les autres. Pendant que je trie les comprimés, je rends grâce pour les médecins et les chercheurs qui ont trouvé des molécules capables de combattre la maladie. Pendant que j’écrase à la force du poignet, j’ai une pensée compatissante pour tous les malades, en particulier pour les ados qui souffrent de maladie chronique, et qui aimeraient envoyer valser leur traitement quotidien. Comme je les comprends ! La maladie et les médicaments sont des chaînes si lourdes lorsqu’on a l’âge de la liberté… C’est une injustice qui me remet en colère et de mauvaise humeur pour la journée !

Il faut bien l’admettre, je ne peux pas échapper aux obligations de mon quotidien. La recherche éperdue de l’éradication de toute forme de contrainte ne conduit-elle pas à des désastres écologiques et humains ? Je dois donc changer mon regard et me rappeler qu’à vivre sans contrainte, on festoie sans saveur. A demi réveillée, devant tous les cachets, je passe en revue les fêtes, les amitiés et les projets à venir. Je me réjouis par avance de ces rencontres et des bons moments que nous allons passer. Saisie d’énergie et d’enthousiasme, j’attrape alors ma petite boîte et j’« écrasatate » ma contrariété du matin.

Marie-Amélie Saunier, ombresetlumiere.fr – 29 juin 2021

Portrait de Marie-Amélie

Marie-Amélie Saunier vit à Lyon. Elle est mère de quatre enfants, dont Paul, atteint d’autisme.

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