« ll faut que les frères et sœurs puissent dire qu’ils en ont marre »

Elisa et sa soeur Manon.
Elisa (interprétée par Diane Rouxel) et sa soeur Manon (Jeanne Cohendy), dans le film « Marche ou crève ». © Nour films.

Sœur d’une femme IMC, Margaux Bonhomme, cinéaste, s’est inspirée de cette expérience pour réaliser son premier film, « Marche ou crève », sorti en salles et désormais disponible en DVD. Témoignage.

A 35 ans, il était temps que je fasse un long métrage. Je me suis dit : sur quoi ai-je un point de vue hors du commun ? C’est le sujet de la séparation d’avec ma sœur qui s’est imposé. Finaliser le film m’a révélé beaucoup de tendresse et d’amour, plus que je ne l’imaginai au début. Les spectateurs m’ont pourtant renvoyé que je n’y allais pas « avec le dos de la cuiller » … Je suis un peu tombée des nues car j’ai baigné dans cette dureté, dans cet environnement. Ma sœur IMC est née deux ans avant moi… J’ai ouvert les yeux sur le monde avec quelqu’un comme elle.

Quand j’ai fait le film, j’ai voulu montrer ce qu’il y avait de beau, et ce qu’il y a de plus dur. C’est le dilemme du personnage : en faisant ma vie loin de ma sœur, qu’est-ce que je quitte, qu’est-ce que je gagne ? Elisa, l’héroïne, est proche de mon histoire. J’ai puisé dans mes souvenirs comme dans un bon dessert : j’ai pris ce que j’aimais bien, le reste je l’ai mis de côté. Je n’ai pas résumé 40 ans de vie ; le sujet c’est ce passage à la vie adulte, et ce sentiment d’abandonner quelqu’un qui avait tant besoin de nous. En faisant le film, j’ai réalisé assez cruellement que ce « problème » – qu’est-ce qu’il faut faire quand un frère, une sœur a besoin de vous – n’était pas réglé et ne le sera jamais, bien que ma sœur soit accueillie dans un centre, car c’est un équilibre fragile.

L’amour prévaut

Le sentiment de rejet, de grande colère, à l’égard de ma sœur, a été inavouable pendant longtemps pour moi, alors qu’il ne devrait pas l’être ; l’ambivalence est quelque chose de très humain. Des sentiments d’amour et de haine cohabitent, mais l’amour prévaut. J’ai l’impression que les frères et sœurs qu’on nous montre habituellement, ce sont les frères et sœurs courage, ceux qui font du mieux possible, qui vont toujours bien… et qui ne peuvent pas dire qu’ils en ont marre ! La souffrance vient de là, de cette impossibilité d’exprimer la colère et le ras-le-bol.

La culpabilité, aussi… Je dis toujours que je suis née coupable : jeune, j’étais coupable de m’amuser, de réussir les choses… Ce sont mes parents qui m’ont aidé à tracer ma propre voie, en s’occupant de ma sœur, et en m’encourageant à faire ce que je voulais. Mais j’ai dû aussi radicalement tourner le dos à tout ça, j’ai été dans la fuite en avant. Je suis revenue vers elle vers 35 ans, après avoir mis en place ma vie professionnelle. C’est un long chemin… Si les choses sont verbalisées c’est mieux ! J’ai fini par faire une longue thérapie.

Sur le plan affectif, j’ai longtemps pensé que je ne pouvais pas m’engager, d’abord parce que j’arrivais avec un « fardeau », ensuite parce que je craignais d’abandonner ma sœur. J’ai donc multiplié les histoires impossibles pendant des années, avant de fonder une famille.

Être sœur c’est une condition particulière dans l’existence, je ne vois pas les choses de la même manière que tout le monde. Pour moi, le handicap fait partie de la normalité. Le handicap d’une sœur s’accompagne de la notion de devoir et de responsabilité, qui rend adulte très tôt – trop tôt. Mais le handicap n’est pas devenu une cause, je ne voulais pas faire ma vie autour de ça.

Propos recueillis par Cyril Douillet et Florent Bénard, ombresetlumiere.fr – 04 juillet 2019

Voir la critique de Marche ou crève sur le blog « Handicap & cinéma » d’Ombres & Lumière. 

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