« Nous voulions parler de ceux dont personne ne veut »

Vincent Cassel et Reda Kateb dans Hors Normes.
Vincent Cassel et Reda Kateb dans Hors Normes. © © Carole Bethuel

Huit ans après le succès d’Intouchables, Eric Toledano et Olivier Nakache reviennent avec Hors Normes, à l’affiche le 23 octobre. Un film engagé sur la situation des jeunes autistes « hypercomplexes » et d’associations qui les accueillent. Rencontre avec Olivier Nakache.

Comment est né le projet de ce film ?

C’est une histoire ancienne. La première fois qu’Eric et moi avons tourné des images ensemble, c’était dans les années 90, pour réaliser un film présentant l’association « Le Silence des justes ». Son fondateur, Stéphane Benhamou (interprété par Vincent Cassel) cherchait déjà à récolter des fonds.

Dès la première fois où nous sommes allés sur place, à Saint-Denis, nous avons rencontré Daoud Tatou (Reda Kateb à l’écran), alors éducateur qui tenait par la main un jeune garçon en situation d’autisme profond. Et cela nous a transcendés de voir ces jeunes de quartiers difficiles – appelés « des référents » alors que d’habitude ils ne sont pas montrés comme des références – s’occuper avec une telle douceur et patience de jeunes en situation de handicap extrême.

Comme si la violence et la colère intérieures de ces jeunes étaient complètement annihilées par la rencontre avec ces jeunes autistes dans une galère plus grande qu’eux. Ils pensaient être en marge de la société et ils découvraient que certains sont encore plus rejetés. Nous avons eu envie de passer du temps avec eux et de comprendre comment tout cela fonctionnait. Et cela ne nous a pas quittés jusqu’à en faire un film.

Après le succès d‘Intouchables, vous vous attaquez à nouveau au sujet du handicap. Craignez-vous la comparaison ?

Peut-être que les films vont être comparés en termes d’entrées puisqu’Intouchables a été complètement hors normes dans ce domaine-là. Mais on pourrait aussi les comparer parce que dans les deux films, on se demande qui soigne qui, de la personne handicapée ou de l’accompagnateur….

Cela étant, Hors Normes est un cap pour Eric Toledano et pour moi. Il concentre ce que nous avons voulu dire dans nos films précédents. On y retrouve l’humour qui côtoie l’émotion, le groupe, le milieu associatif, les duos. Nous creusons un sillon. Dans ces associations, il y a aussi la rencontre de personnes de religions différentes, juives et musulmanes… Oui, des mômes qui ne communiquent pas ou peu font communiquer entre eux tout un tas de personnes.

C’est assez incroyable comme poumon ou comme cœur de notre société. Dans ces endroits, la religion est à sa place : au service des autres, des plus vulnérables. La religion, c’est d’essayer de relier des gens entre eux pour avancer ensemble et croire à une vie meilleure. Il faut peut-être avoir une foi chevillée au corps pour faire ce qu’ils font. Mais ils le font surtout parce qu’ils sont bons.

Dans ces endroits, la religion est à sa place : au service des autres, des plus vulnérables.

A la différence d’Intouchables, vous avez fait appel à des personnes réellement handicapées pour jouer la plupart des rôles concernés. Comment cela s’est-il passé ?

Avec Eric, nous nous demandions comment nous allions tourner avec les enfants autistes. Mais notre envie dépassait notre peur. 90 % des personnes qui jouent dans le film sont donc des éducateurs, des enfants et des jeunes atteints d’autisme membres de ces associations. Dans un projet comme Hors Normes qui parle d’inclusion, c’était impossible de ne pas les faire participer au projet.

Nous avons fait un gros travail d’immersion, avec l’aide de pédopsychiatres, notamment de Moïse Assouline qui porte ces associations depuis le début. Il nous a expliqué que le rôle de Valentin, le jeune homme qui porte un casque de boxe parce qu’il s’automutile, ne pouvait pas être joué par un jeune autiste car nous n’allions pas remettre en situation de crise un jeune que l’on essayait de sortir de ces situations.

En même temps, nous ne pouvions pas montrer le quotidien de ces associations sans parler de la violence et des crises qu’elles subissent… Nous avons donc trouvé un jeune garçon pour jouer le rôle de Valentin : Marco Locatelli, dont le petit frère est atteint d’un autisme « hypercomplexe ». Quand il nous a avoué que jouer ce rôle le rapprocherait peut-être de son petit frère, ça nous a bouleversés…

Nous avons travaillé avec des coachs comportementaux, car nous avons une phobie de ne pas être crédibles. Avant de tourner la scène où Valentin fait une crise dans le couloir de l’Usidatu (Unité Sanitaire interdépartementale d’Accueil Temporaire d’Urgence), Marco m’a dit : « Je sais à qui je vais penser en la jouant. Malheureusement je l’ai beaucoup vu. » Sa maman nous a confié que le tournage l’avait transformé humainement. De toute façon, un tournage ne laisse personne indemne.

La figure de Joseph, porteur d’un autisme plus léger, est aussi particulièrement attachante. Comment avez-vous travaillé avec l’acteur ?

Quand il a fallu trouver Joseph, nous cherchions un jeune homme atteint d’autisme mais qui ne soit pas un cas hypercomplexe. Nous nous sommes rendus dans un Esat, Turbulences, à la porte d’Asnières, où les salariés autistes font du théâtre, de la poésie, du graphisme, de la couture, de la cuisine…

Ils montent des spectacles. Tout de suite, nous avons été saisis par Benjamin Lesieur, qui joue Joseph. Nous avons ainsi démarré un atelier théâtre au sein de Turbulences avec Benjamin. Par la suite, nous avons pu adapter le tournage en fonction de lui.

Benjamin a mis de la poésie sur ce tournage ! Certaines expressions dans le film viennent de lui. Il a mis la tête sur l’épaule de tous les techniciens… Et quand il n’était pas sur le tournage, il nous manquait. Benjamin est devenu la mascotte. Nous l’avons emmené au festival de Cannes avec nous. A la soirée de fin de tournage, tous les techniciens étaient autour de lui. Ça a été une aventure incroyable pour tout le monde.

Avec ce film, nous espérons orienter le regard différemment sur la bizarrerie et la différence.

Par moments, le film oscille entre le documentaire et la fiction. Est-ce un film militant ?

Tout film est politique, mais il est sûr que c’est notre film le plus engagé. Rain Man reste un film magnifique sur l’autisme, mais nous voulions parler de ceux dont personne ne veut. Le côté documentaire est présent parce que nous voulions coller à une réalité. On sait par exemple que les personnes autistes souffrent d’hyperacousie : des sons, des bruits, des lumières les agressent.

Nous avons voulu jouer avec ces éléments dans la mise en scène pour imbriquer le cinéma dans la réalité, et vice-versa. Mais cela reste un film de cinéma avec la rencontre d’acteurs, des personnages romanesques, de l’émotion et de l’humour. Avec ce film, nous espérons orienter le regard différemment sur la bizarrerie et la différence, faire bouger les choses à notre manière même si nous ne sommes pas naïfs : ça n’est qu’un film !

Depuis Intouchables, nous avons la chance de pouvoir faire ce que nous voulons. Nous avons cette liberté et nous essayons de l’utiliser à bon escient. C’est un risque et un défi ! Pour Moïse Assouline, si notre société parvient à s’occuper des cas les plus difficiles, elle pourra mieux s’occuper des autres et devenir de plus en plus harmonieuse. Ce film était pour nous une nécessité.

Propos recueillis par Florence Chatel – ombresetlumiere.fr ; 17 octobre 2019

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