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Assistants sexuels : le CCNE botte en touche
Dans une réponse à Sophie Cluzel – et non un avis – rendue publique le 6 octobre, le CCNE (comité consultatif national d’éthique) s’exprime au sujet des assistants sexuels. Un texte ambigu et confus qui renvoie la décision au politique.
Mystère, mystère…Que s’est il passé au CCNE autour des assistants sexuels, sujet sur lequel il était attendu depuis de longs mois ? Le 6 octobre, le comité d’éthique a mis en ligne, sans aucune information aux médias, sa réponse à la demande de saisine de Sophie Cluzel. Une réponse, et non un avis comme attendu, signé…trois mois plus tôt, le 13 juillet, des mains de Jean-François Delfraissy, son président. Avec un texte visiblement embarrassé.
Rappelons-nous. Le 9 février 2020, à l’occasion du Conseil national du handicap, la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, avait surpris tout le monde, en se déclarant « favorable » à des assistants de vie sexuelle pour les personnes handicapées, et en saisissant le CCNE sur le sujet, alors qu’un avis datant de 2012 avait émis de fortes réserves sur cette évolution. « Dix ans après, la société a mûri », assurait Sophie Cluzel au micro d’Europe 1.
Le texte rendu public la semaine dernière – et passé totalement au travers du radar médiatique – tente de rendre compte des travaux du comité en douze pages, auxquelles s’ajoute, en annexe, la liste des personnes auditionnées (une trentaine, issue du monde associatif, magistrats, personnes handicapées, directeurs d’établissement…), ainsi que « le rappel du cadre juridique de la pénalisation de la prostitution et la lutte contre les violences faites aux femmes ».
Le texte lui-même ne tranche guère le débat. Il commence par rappeler la distinction entre le droit d’accès à la vie sexuelle, et le « droit à la vie sexuelle », qui induirait un droit-créance, « obligation difficilement concevable pour l’Etat ». Puis évoque l’« hétérogénéité des situations et des besoins », rappelant que la grande majorité des demandes d’assistance sexuelle émanent d’hommes porteurs d’un handicap.
Rompre l’isolement
Le CCNE explique que la question de l’accès à la vie affective et sexuelle ne saurait se résoudre à celle des assistants sexuels, et « peut relever du besoin de rompre l’isolement ». Il pointe les « risques » liés à la légalisation des assistants sexuels, en vigueur en Suisse, au Pays-Bas, et au Danemark… Si la situation française actuelle, notamment en établissement, n’est pas satisfaisante, il rappelle que toute évolution butte sur le cadre actuel de la loi sur la prostitution : « En l’état actuel du droit français, le recours aux services sexuels d’un homme ou d’une femme, ou sa facilitation, relève de la prostitution et du proxénétisme ». Il y a donc un dilemme éthique « entre le droit pour les personnes handicapées d’accéder à une vie relationnelle et intime, et la préservation du principe de non-marchandisation du corps humain ». Faut-il donc instituer une exception fondée sur le handicap, au risque de créer une nouvelle stigmatisation ?
S’il fait quelques recommandations – réaliser une cartographie des initiatives des centres de ressource régionaux ; inscrire dans le projet des établissements une politique favorisant l’accès au droit à la vie intime ; expérimenter des initiatives d’accompagnement « aux gestes du corps et de l’intimité », dans le cadre légal actuel – le CCNE ne tranche pas la question et renvoie le politique à ses responsabilités : « La recherche d’une solution de nature à permettre un droit effectif à une vie sexuelle ne soulève pas de questions éthiques en soi, mais nécessiterait de modifier le cadre légal relatif à la prostitution et donc de s’affranchir des principes éthiques qui s’y réfèrent, auxquels le CCNE est également particulièrement attaché. » Et d’ajouter : « Cette décision est éminemment politique et législative. »
Les quelques lignes de conclusion, toutefois, reviennent à l’esprit de l’avis de 2012, très ferme, et finalement toujours pertinent : « Favoriser l’interrelation reste plus que jamais d’actualité. Elle supposera d’intensifier la politique de santé publique qui s’y rapporte, non seulement par une engagement plus signifiant de l’Etat, mais aussi par un regard différent porté par la société ». En bref : ambigu, peu clair, publié dans la plus totale discrétion, l’avis du CCNE a en tout cas peu de chance de refaire émerger le sujet des assistants sexuels dans le débat politique, au soulagement de ses détracteurs.
Cyril Douillet, ombresetlumiere.fr – 12 octobre 2021
A lire sur le sujet : Handicap et sexualité, par Philippe de Lachapelle, Téqui, 3 euros