Sur les lèvres

Entre deux chaises

échange entre deux femmes, dont l'une sourde.
© fizkes/Adobe stock

À la messe, dimanche dernier, il y avait l’aumônerie des sourds et malentendants. Tous s’exprimaient en langue des signes ; une interprète était présente pour leur traduire la messe. Tour à tour, j’observais l’interprète et je regardais le groupe. Au fond de moi, je ne m’identifiais que très peu à eux. Pourtant, nous avons la surdité en commun.

J’ai en effet grandi au milieu d’une famille nombreuse, tous entendants. Si durant mon enfance et mon adolescence, j’ai eu la chance de croiser le chemin de plusieurs sourds devenus par la suite des amis, j’ai toujours baigné dans le monde des entendants. Pour communiquer, mes amis sourds alternaient entre la langue des signes, le LPC (un code accompagnant la lecture labiale, que j’utilise toujours) et l’oral. Avec eux, j’ai découvert la langue des signes – que j’ai d’ailleurs appris sur le tard, à 18 ans.

Pardonnez-moi l’expression, mais j’ai toujours eu « le cul entre deux chaises ». Comme ces enfants bilingues qui ne se retrouvent ni dans le pays d’origine de leurs parents, ni dans celui qui les a vus grandir, j’ai été à la fois dans le monde des entendants et celui des sourds. Mais je n’ai jamais entièrement fait partie de l’un ou de l’autre. Chez les entendants, j’étais souvent en décalage, les difficultés pour suivre les conversations se faisaient sentir. Chez les sourds signants, je ne me sentais pas à ma place, « pas assez sourde ». Il est vrai qu’avec mon implant cochléaire et mon appareil auditif, je me débrouillais bien dans le monde entendant.

Ma place est au milieu des sourds dits « oralistes », ceux qui ont fait le choix de parler. Notamment des sourds lpcistes, qui utilisent le code LPC. Quand nous discutons, les conversations vont à toute vitesse, on mélange LPC, langue des signes et oral. C’est d’une fluidité extraordinaire. Nous avons une vraie capacité d’adaptation. Je savais qu’avec eux, je n’étais pas considérée comme une « fausse sourde » pour les sourds signants, ni comme une « malentendante » pour les entendants. C’est vrai que c’est difficile de définir ce que nous sommes : des sourds qui entendent avec leurs appareils mais qui font face à leurs limites et à la fatigue d’entendre.

J’ai retrouvé ces amis-là lors du mariage d’une amie d’enfance, qui a grandi avec la langue des signes, le LPC et l’oral. Les conversations allaient bon train. Il n’y avait aucune gêne : nous savions tous qui nous étions et ce que nous vivions au quotidien. Pas besoin d’expliquer les difficultés, ils les vivent aussi.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 25 octobre 2022

Portrait d'Alienor Vinçotte

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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