Un pas de biais

Exquise politesse

Un vieux monsieur saluant avec son chapeau une dame
© Dobrila Vignjevic/ Istock.

« Sur le plateau du petit-déjeuner, on trouve : la grande tasse à déjeuner, la petite tasse avec sa soucoupe, une assiette à tartines, la grande cuillère et le couteau à tartiner… » Juchée sur la table de la salle à manger, les pieds balançant dans le vide, ma nièce de 9 ans me fait la lecture d’une voix flûtée, tandis que je m’astreins à mes sempiternels étirements. Cette fois, nous avons choisi, pour rire, de nous plonger dans les Convenances et bonnes manières de Berthe Bernage, datant de 1950. La petite voix guillerette de ma nièce me fait oublier le trop long trajet de la trotteuse sur ma montre tandis que j’endure le tiraillement de mes muscles.

Convenances et bonnes manières. Ce titre délicieusement désuet me fait réfléchir. Désuet ? Je dois dire que, pas plus tard que la semaine dernière, j’ai pu éprouver à plusieurs reprises la délicatesse de certains de mes contemporains. Une fois, c’est une dame attablée à la terrasse d’un restaurant qui se lève précipitamment pour m’aider à descendre les marches de l’escalier voisin. Une autre fois, c’est une femme en vêtements de sport qui se propose de me porter mon sac dans le métro ; enfin, un vieux monsieur, dans le bus, soulève délicatement son beau chapeau et, me montrant sa canne en signe de connivence, lance un retentissant « bienvenue, chère Madame ! » 

D’aucuns disent que nous vivons dans un monde de plus en plus individualiste et violent. Je me plais pourtant à souligner ces gestes de déférence dont ont fait preuve des inconnus à mon égard. Preuve que l’altruisme n’est pas une valeur totalement désuète et que la fragilité d’une personne porteuse de handicap continue de mettre les uns et les autres en mouvement. Je constate que cette fragilité est, encore une fois, une belle porte d’entrée pour la rencontre.

Je pourrais refuser l’aide que l’on me propose, et il m’arrive de le faire lorsqu’elle ne me semble pas nécessaire. Mais alors, parfois, lorsque je vois l’autre replier sa main tendue ou repartir la mine froissée, j’ai l’impression d’avoir participé malgré moi à la brutalité du monde… En y réfléchissant, je me dis que la vraie politesse n’est pas seulement la capacité à sortir de soi pour se soucier du bien de l’autre : c’est aussi accueillir, le cœur large, ce que l’autre est prêt à nous donner. Pas si simple, mais bien actuel !

Cécile Gandon, ombrestlumiere.fr – 25 avril 2022

portrait de Cécile Gandon

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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