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La faim des fous

Isabelle Gauthier a enquêté sur sa grand-mère Hélène, morte en 1942 à l’hôpital psychiatrique de Clermont (Oise). © DR.

Ce documentaire disponible sur Internet revient sur un drame méconnu de la seconde guerre mondiale : l’hécatombe des personnes internées en asile psychiatrique sous Vichy, décédées pour cause de malnutrition. Un hommage poignant.

C’est un drame largement oublié d’une période déjà sombre de l’histoire de France : sous Vichy, 45 000 personnes internées en asile psychiatrique sont mortes de dénutrition, du fait des contraintes du rationnement et de la négligence dont le gouvernement a fait preuve à leur égard.  Ce documentaire de 52 minutes, aux images parfois dures, éclaire cet épisode en donnant notamment la parole à des descendants, directs ou indirects, de ces malades. Ainsi Isabelle Gauthier, qui a enquêté sur sa grand-mère Hélène, morte en 1942 à l’hôpital psychiatrique de Clermont (Oise), après avoir été internée par sa fille en 1940. Les archives témoignent de la faim dont cette jeune femme a souffert de façon continue, jusqu’à peser 36 kilos, et périr.

Rationnement

Riche de ces témoignages poignants, le film tente d’explorer le contexte de cette « extermination douce », comme l’a nommée le Dr Max Lafont, dans un livre publié en 1987. Dès 1940, face à la pénurie alimentaire, le gouvernement Pétain établit des cartes de rationnement individuelles, au montant calorique inférieur de moitié aux besoins réels des personnes. Pour tout un chacun, l’alimentation est complétée grâce au marché, libre ou noir. Une possibilité dont sont exclues les personnes internées. Il faudra attendre 1942, pour qu’au vu de la surmortalité dans les hospices (jusqu’à 38 % de morts par an), le congrès des aliénistes de Montpellier alerte sur la situation. En octobre, le gouvernement réagit par une circulaire qui accorde enfin des suppléments alimentaires à cette population.

Mort sociale

S’il n’y a donc pas eu volonté explicite de se débarrasser des malades, comme dans l’Allemagne nazie, l’indifférence dans laquelle ont souffert et sont décédées ces personnes marque le signe d’une époque tentée par l’eugénisme, et qui condamne les « fous » à une « mort sociale », en les marginalisant à vie dans des lieux d’enfermement à l’abri des regards. Au-delà de la honte qu’il fait ressentir pour ce manque d’humanité dont a fait preuve notre pays, c’est le grand mérite de ce film, à la suite de l’inauguration d’une plaque sur le parvis des Droits de l’homme, au Trocadéro, par le Président Hollande en 2016, que de rendre hommage à ces victimes, de rendre vivante leur mémoire. Et de nous interpeller aujourd’hui sur le sort des plus fragiles.

Cyril Douillet, ombresetlumiere.fr – 9 mai 2022

Un film de Frank Seuret (2018). A voir sur faire-face.fr

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