Sur les lèvres
La « cour des miracles »
Deux jours avant notre mariage, la cousine de mon mari l’appelle : « Ma fille a la jambe dans le plâtre, elle est super déçue et pleure toutes les larmes de son corps car elle ne pourra plus faire partie du cortège. Je suis désolée. » Mon mari lui répond simplement : « Dis à ta fille de s’entraîner avec ses béquilles, sa tenue l’attend comme prévu ! ».
Elle s’ajoutera à tous ceux qui font le cœur de la messe. Une mariée sourde, un prêtre éclopé, un diacre infirme moteur cérébral, un servant d’autel trisomique… Comme l’a si bien dit ma grand-mère à l’évocation de ce beau monde : « Mais… c’est une vraie cour des miracles ! »
Le jour J, ils sont tous arrivés dans la nef sous le regard des invités. La petite nièce avec la jambe dans le plâtre et les autres enfants d’honneur, suivi des mariés. Sont venus ensuite, le prêtre – mon ancien aumônier scout – avec sa béquille, le diacre (ami de la famille) marchant tant bien que mal et le servant d’autel, petit cousin du marié.
Les chants s’élèvent sous la voûte, c’est mon frère aîné qui prête sa voix. Oui, l’ironie du sort (ou plutôt le Dieu plein d’humour) a voulu que je naisse dans une famille de musiciens avec également une maman qui chante merveilleusement bien !
Dans l’assemblée, aucun jugement. Plutôt des regards agréablement surpris. Et des cœurs touchés. Dont celui de mon autre grand-mère. « Les mentalités ont beaucoup changé », constate-t-elle. Elle sait de quoi elle parle. Le handicap mental a été le compagnon de sa petite sœur, née dans une société qui ne lui a pas donné sa place.
J’ai fait venir une codeuse, qui me « traduit » en LPC (langue parlée-complétée) tout ce qui se dit, à côté du prêtre. Les amis sourds, invités et assis au premier rang dans l’assemblée, peuvent aussi suivre. Je suis heureuse et rassurée, d’autant plus qu’ils n’ont pas l’habitude ou ne vont pas souvent à la messe.
Ce jour-là, chacun est à sa place, dans son entièreté. Le handicap n’est plus un frein pour être au cœur de la messe ou pour la suivre. Au contraire, il la rend accessible et profondément humaine. Avec mon mari, c’était évident de choisir chacune des personnes citées car elles avaient un rôle important pour nous. L’Église, c’est ça. C’est un groupe de personnes qui ont toutes des différences, qu’elles soient visibles ou non. Sans oublier les cœurs meurtris par la vie. Un endroit où chacun est accueilli, sans jugement, et où on ne se soucie plus de cacher ses fragilités.
Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 20 février 2023
Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.