Personnes sourdes : « Nous sommes une minorité linguistique » – Chronique Radio Notre Dame

Langue des signes

Chronique de Florence Gros, directrice de la Fondation OCH, sur Radio Notre Dame –  21 janvier 2025

Florence Gros : Dans quelques jours, le 24 janvier, nous fêterons la Saint François de Sales, un prélat savoyard patron des personnes sourdes et malentendantes pour avoir pris sous sa protection pendant 17 ans un sourd-muet, Martin, qu’il a patiemment enseigné et catéchisé. Saint François voulait que Martin comprenne que Jésus l’aime. Sa fête est une occasion pour moi d’honorer la communauté sourde parfois un peu oubliée. Pourtant, les personnes limitées dans leurs fonctions auditives sont plus de 5 millions en France. Leur handicap est invisible si on peut parler de handicap car la majorité des personnes sourdes refusent l’étiquette du handicap. « Nous ne sommes pas des handicapés, nous sommes une minorité linguistique. » témoignent certaines d’entre elles. Elles ont en effet développé une langue – la langue des signes – et une culture qui leur permettent de vivre entre elles. Aux entendants, elles disent : « Cessez de vouloir nous guérir, cessez de vouloir nous changer ». Pour avoir été dans des groupes de personnes sourdes, la plus en difficulté pour communiquer était bien moi qui peinais à comprendre la langue des signes.

Simon : Comment entrer en relation avec une personne sourde ?

Florence Gros : Entrer en relation, c’est aller vers elle pour lui signifier notre désir de communiquer avec elle, en la regardant. On dit souvent qu’un pas vers une personne sourde, c’est faire la moitié du chemin dans la communication. Trop souvent, les entendants fuient pour ne pas se trouver en échec, alors toute tentative sincère de communication est bien accueillie. Si la personne est appareillée, elle lira probablement sur nos lèvres. Il suffit alors de se placer devant elle (en évitant les contre-jours) et de parler distinctement sans crier. Si son mode de communication est la langue des signes, il faudra garder le contact visuel et sans doute favoriser l’écrit. Quelques signes appris facilitent la communication mais apprendre l’ensemble de la langue des signes demande une véritable formation. J’ai rencontré récemment Xavier Lopinnet, dominicain, docteur en théologie spirituelle et prêtre référent de la communauté sourde de France. Il ne cache pas le temps qu’il lui a fallu pour comprendre les personnes sourdes. Il dit : « La communauté des sourds constitue un véritable pays, une planète à part, un univers même. Mais au fond de chaque sourd se trouve un monde intérieur, bien plus délicat encore à appréhender ». Il leur a consacré un magnifique livre intitulé « Les sourds, en ce jour-là, entendront les paroles du livre » aux éditions du cerf.

Simon : Quel est l’objet de ce livre ?

Florence Gros : Xavier Loppinet a exploré le monde intérieur des sourds. Monde vaste. Il s’est arrêté pour écouter ce qui habite les sourds au plus profond d’eux-mêmes. Ce livre n’a pas pour but de donner la parole aux sourds sur la relation qu’ils ont avec Dieu, puisque cette parole, les sourds l’ont déjà prise depuis longtemps. Il les a écoutés. Il traite de théologie, de l’accès à la foi, de la confession, de comment le monde monastique et le monde des sourds se sont rencontrés, de comment la langue des signes et la liturgie sont faites l’une pour l’autre … Avec son livre, ce dominicain passionné et passionnant nous donne l’envie de communiquer avec la communauté des sourds, mais aussi avec Dieu et avec les autres. En effet, les sourds ont modifié sa présence aux autres et à Dieu, dans sa façon d’écouter, de regarder et d’exprimer avec son visage ce qu’il dit. Une invitation à offrir son visage à l’autre et à accueillir celui de l’autre comme une grâce. Le début de toute communication…

Chroniques animées par Simon Tatreaux, journaliste et présentateur de Radio Notre Dame.

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