Sur les lèvres
Accepter ma fatigabilité
À une amie sourde, non-parisienne, venue dormir chez moi un dimanche soir, j’ai posé une question qui me taraudait : « Comment fais-tu pour gérer la fatigue liée à notre surdité, et écouter tes besoins ? ». J’admirais le visage épanoui et détendu de mon amie, dont le ventre rond annonçait un heureux événement.
Tranquillement installées sur le canapé, nous « codions » toutes les deux à voix basse en LPC (Langue française Parlée Complétée), ce moyen de communication qui accompagne la lecture labiale avec la main décomposant les syllabes, utilisé par certains sourds dit « oralistes ». En discutant avec elle, je réalisais que j’acceptais difficilement d’avoir une plus grande fatigabilité par rapport aux entendants.
Moi qui pensais avoir totalement accepté ma surdité, je me rends compte que je lutte encore pour toujours être « au taquet » et que je cherche toujours à me dépasser par rapport à mon handicap. Mais me dépasser de quoi ? Être plus forte que ma fatigue ? Au final, sans que j’y prenne garde, l’épuisement et la frustration prennent le dessus à mes dépens.
Cette vulnérabilité, cette fatigue, ces moments où je suis à côté de la plaque : et si j’en faisais mes points forts ? Et si je les acceptais ? Et si je les prenais avec humour et (beaucoup !) de recul ? Car il serait temps pour moi d’écouter mes propres besoins, qui ne sont pas les mêmes qu’une personne dont l’audition est intacte !
J’ai alors mesuré la valeur infinie de cet échange ce soir-là. Cette amie m’a fait comprendre quelque chose d’essentiel : cette fatigue doit être mon amie, mon curseur me permettant de me dégager du temps libre, de m’écouter et enfin de me rendre plus disponible une fois reposée. Elle m’a délivrée une leçon de vie : cette bienveillance envers elle-même dégage une douceur qui n’a pas de nom.
Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 19 octobre 2021
Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.