Un pas de biais

Ça craque de partout

une femme devant son ordinateur.
© Istock.

J’ai commencé par être « cas contact Covid » et isolée dans mon studio pendant deux semaines. Juste après, le confinement officiel a été déclaré. Un certain découragement se faisant sentir, j’ai décidé d’aller passer ce temps près de mes parents, dans leur maison où il fait bon vivre.

Les activités de chacun sont bien réglées. Maman tricote pour ses petits-enfants qu’elle ne peut pas voir. Elle écoute la radio. Elle écoute mes sœurs au téléphone. Elle écoute mon père qui revient du travail. Elle écoute la nature qui vit et qui meurt.

Moi, je fais du télétravail. Je n’en peux plus de cet ordinateur qui jamais ne remplacera un être humain. J’ai mal partout. Mon dos grince comme une vieille armoire, mes pieds se déforment. Je me sens paradoxalement comme isolée dans une bulle numérique. Bref, ça craque de partout.

Confinée avec mes parents qui sont également des grands-parents, je m’interroge. Mon handicap est-il comme un avant-goût de la vieillesse ? Dois-je m’habituer à être désormais du côté des personnes qui se protègent, que l’on protège – celles qui sont officiellement déclarées « à risque », « vulnérables » ? Je n’ai pas encore 40 ans…

Au fond, ce confinement aux frontières floues nous met face à cette question : qui est vulnérable, qui ne l’est pas ? Qui peut raisonnablement se dire à l’abri, qui de la Covid, qui du chômage ou de quelque autre perte ? Les anciennes certitudes volent en éclat. On aimerait bien continuer à croire que l’on fait partie de ceux qui protègent plutôt que de ceux que l’on protège, de ceux qui gagnent plutôt que de ceux qui laissent la maladie, la vieillesse, les incertitudes gagner du terrain.

Peut-être faut-il laisser de côté ces barrières tout humaines. Et, au milieu du chaos, laisser émerger cette question où la joie point déjà : où est la vraie vie ? Quel nouveau sentier s’ouvre sur lequel je me sentirai bien, moi, avec mon parcours, mes failles, mes richesses propres… assez libre pour rejoindre les autres et les aider à se rejoindre.

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 23 novembre 2020

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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