Eugénisme aujourd’hui et demain

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VD : Le mot « eugénisme » revient souvent dans les débats publics quand on parle de bioéthique. Philippe, je vous ai entendu vous-même en parler. Avons-nous vraiment des pratiques eugéniques en France ?

« Quelle humanité voulons-nous pour demain ? » C’est en ces termes que le CCNE, Comité Consultatif National d’Ethique, conclut son avis 138, qu’il a intitulé : « L’eugénisme, de quoi parle-t-on ? ». Le CCNE a voulu préciser le sens du mot, et évaluer ce qu’il en est en France. Il nomme trois éléments constitutifs qui doivent être rassemblés pour qu’il y ait eugénisme : « une visée d’amélioration de l’espèce humaine – une politique d’état coercitive au service de cet objectif – des critères et des procédés de sélection d’individus ». Au vu de ces trois éléments, le CCNE passe au crible les pratiques en France, et en conclut qu’il n’existe à ce jour aucune pratique qui réunit ces trois critères, faute notamment de politique d’état. Le professeur Testard, à l’origine du premier bébé éprouvette, conteste l’idée qu’une politique d’état soit nécessaire pour qu’il y ait eugénisme. Il constate par ailleurs que les récentes technologies décuplent les perspectives eugéniques, sans passer comme autrefois par le meurtre d’enfants, ce qui les rend acceptables.

VD : De fait, il existe bien des pratiques de sélection des personnes en France, je pense aux diagnostics préimplantatoires ou prénataux ?

Oui, Valentin, et le CCNE reconnait qu’elles existent bel et bien. Mais elles relèvent de décisions individuelles, et non d’une politique d’état pour améliorer l’espèce. Elles échappent donc au terme d’eugénisme. « Est-ce vraiment si simple ? -interroge Blanche Streb, d’Alliance Vita, sur le site Aleteia – Les décisions sont-elles réellement individuelles, relevant d’un consentement libre et éclairé ? ». Et d’évoquer la pression sociale inimaginable qui s’exerce sur les parents. Sans parler aussi des moyens énormes que met l’état pour ces diagnostics ! Une forme de politique d’état masquée ?

Notre défi est d’assumer cette vulnérabilité comme constitutive de notre humanité commune.

VD : On comprend qu’il y a débat pour savoir si l’eugénisme est déjà là, ou seulement un risque pour demain. Mais précisément, on peut s’inquiéter pour demain ?

Hélas oui, Valentin, et le CCNE appelle à la plus grande vigilance. Il parle des nouvelles possibilités qu’offre la science concernant le génome humain, mais aussi de l’avènement du transhumanisme avec en perspective « l’homme augmenté ». Face à ces risques, le CCNE en appelle à « l’humilité scientifique ». Un appel illusoire pour le Professeur Testard, tant que la recherche scientifique est au service du marché, si puissant ! Ce rêve de perfectionner l’espèce humaine, de la débarrasser de sa vulnérabilité, pour la rendre plus conforme au besoin de performance est en marche.

Notre défi est précisément d’assumer cette vulnérabilité comme constitutive de notre humanité commune. Elle est paradoxalement notre force, parce qu’elle nous invite à tisser des liens de fraternité et d’entraide qui nous donnent vie, qui nous rendent humains, loin de l’individualisme et de la maitrise de nos destins qui nous épuisent. Elle est là, l’humanité que nous voulons pour demain, fragile, imparfaite, mais si humaine !

Philippe de Lachapelle sur Radio Notre-Dame – 05 avril 2022

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