L’Arche au rythme de la Covid-19
Jeune femme de 24 ans, Maïlys est depuis septembre 2020 assistante dans la communauté de l’Arche d’Aigrefoin (Yvelines). Elle témoigne de l’impact de l’épidémie sur le quotidien.
La fête est-elle finie ?
Telle était déjà la question qui me trottait dans la tête à la fin du mois d’août dernier, alors que je m’apprêtais à passer un an à l’Arche d’Aigrefoin.Du mois de stage que j’y avais fait quelques années plus tôt, j’avais conservé le souvenir d’une réalité hors du temps et hors du monde, où la personne accueillie puisait dans la vie communautaire l’amour dont elle avait besoin pour vivre, et la joie dont elle avait besoin pour vivre heureuse. Je me souvenais de l’Arche comme d’une réalité essentiellement tendre et festive. Autant d’adjectifs que l’on peinerait à attribuer aux années 2020/2021…
Que reste-t-il de la vie partagée dans cet aujourd’hui ordonné à la Covid-19 ? Comment faire vivre la communauté lorsque la prudence exige l’isolement ? L’intuition de l’Arche n’est-elle pas malmenée par les masques, ceux-là mêmes que nous sommes invités là-bas à faire tomber pour pouvoir entrer en relation ?
Voici une anecdote illustrant les nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés. Luc, une personne accueillie de mon foyer, venait de souffler les bougies de son gâteau d’anniversaire. Joyeux, l’anniversaire ? Périlleux surtout, réalisèrent un peu tard les assistants, déconfits. En temps normal, on se réjouit d’engloutir une part du fondant au chocolat sur lequel le roi de la fête a allègrement soufflé. Hélas, les temps n’ont plus rien de normal. Luc venait (peut-être ?) de répandre le virus sur le gâteau… Hors de question d’encourir le risque de contaminer tout le foyer !
« Que les pauvres soient en fête ! » (Ps 33)
En dépit des remous qu’a engendrés le coronavirus, la vie poursuit son cours à Aigrefoin. Il faut reconnaître qu’avec ou sans virus, la vie à l’Arche relève plus ou moins du miracle. Sans dénigrer ni la beauté ni même l’efficacité du pardon, je crois que si le cœur de ce qui se trame à l’Arche depuis tant d’années n’est pas meurtri par le virus, c’est parce que la fête continue de battre son plein. La preuve en images.
Les personnes accueillies (les assistants aussi je dois avouer) rechignent à porter le masque. Elles le mettent obstinément à l’envers, le côté blanc à l’extérieur et le bleu à l’intérieur (à moins que ça ne soit l’inverse, je ne sais jamais) et, pour s’exprimer à leur aise, le baissent sous le nez quand ça n’est pas sous le menton. Malgré la franche hostilité qu’ils s’attirent, les masques se sont retrouvés en bonne position dans la procession des offrandes de la dernière Messe de la Nativité, au cours de laquelle Louise et Steven ont apporté un arbre de Noël intégralement décoré de masques… C’est l’un des sens que revêt la célébration à l’Arche : offrir les joies et les peines, les cadeaux et les contraintes.
Par amour pour leur famille, leur foyer et leur communauté, les personnes accueillies s’ingénient à surmonter les contraintes pour rester unies. Par des moyens dérivés, nous continuons à nous faire la fête les uns aux autres. Cécile, une assistante, me racontait l’autre jour qu’elle avait appris à s’exprimer par le regard depuis que sa bouche était dissimulée. « J’apprends à sourire avec les yeux », me dit-elle, ravie de sa trouvaille. Les mots, ensuite, rattrapent la distance que les corps sont tenus d’observer. Au lieu de s’enquérir paisiblement de mes nouvelles comme quand nous nous croisions autrefois, Dominique désormais s’époumone presque pour converser puisque, obéissants, nous nous tenons à l’écart l’un de l’autre. Nous nous disons enfin que notre amitié persiste en nous offrant des cadeaux : Didier n’arrête pas de me donner des galets qu’il déniche dans la terre, pendant ses journées de travail aux espaces verts. En dépit des circonstances acrobatiques, nous demeurons en communion. Se réjouir d’être ensemble plutôt qu’isolés, c’est ce que nous fêtons tous les jours à l’Arche.
Puisque l’épisode du coronavirus semble bien parti pour ne pas être épisodique du tout, la communauté d’Aigrefoin s’est résolue à vivre au lieu de survivre. S’il est bien une chose que le virus ne peut pas gâter, ce sont nos joies quotidiennes, celles qui transforment nos journées en bal… masqué.
Maïlys de Craecker, ombresetlumiere.fr – 3 février 2021