Sur les lèvres

Le passage du portique

une femme passant un portique de sécurité.
© Baona / Istock.

L’autre jour, je me déplace à la mairie pour une démarche administrative. A l’entrée, un portique de sécurité accueille les visiteurs. Deux policiers se tiennent là, je leur demande si je peux passer à côté : « J’ai un implant cochléaire ». Je montre l’appareil que je porte sur l’oreille. Aimables, les policiers s’empressent de me laisser le passage tout en jetant un coup d’œil dans mon sac.

Je monte les escaliers vers l’étage de la mairie quand l’un des deux policiers m’arrête : « J’ai une question à propos de votre implant cochléaire », me dit-il tout en bégayant. Je le regarde, le surplombant de deux marches ; il a l’air jeune, le crâne luisant et bronzé, les yeux très bleus. « Mon fils est sourd et je me demandais si vous étiez contente d’en avoir un ». Plus qu’une demande, ses yeux bleus expriment l’espoir.

Il m’explique que son petit a 5 ans et qu’ils se posent la question de lui mettre un implant cochléaire. « Vous avez fait ça l’étranger ? En France ? ». Je lui réponds que ça a été d’une grande aide, que j’ai été implantée tardivement, à l’âge de 7 ans. Et que la France bénéficie de très bons médecins ORL qui suivent les enfants sourds implantés. Je cite les centres ORL à Paris, Lyon, Montpellier. Après avoir reçu les remerciements du policier, je file à mon rendez-vous.

C’est alors que j’ai repensé à cette conversation avec mes parents qui m’ont raconté avoir longuement hésité avant de faire le choix de l’implant. Et qu’ils s’étaient retrouvés autour d’une bière à Paris, inquiets des conséquences que cela pouvait avoir sur ma santé. Car c’était une opération, non pas pour soigner quelque chose de blessé, mais remplacer une audition absente. Quel impact leur choix de parents allait avoir ? Ils s’en sont remis à la Providence, conscients que l’implant ne résoudrait pas tout mais qu’il ne pouvait être qu’une aide.

En sortant de la mairie, je repensais à ce policier. Je l’imaginais démuni, sans trop savoir où se renseigner. J’ai sorti un papier de mon sac pour y griffonner quelques informations qui pouvaient lui être utiles, pour l’orienter et l’aider dans son choix de parent. Au moment de retourner sur mes pas, je le vois finir son service et monter dans sa voiture. Il me voit et arrête sa voiture quelques mètres plus loin. Je lui apporte mon petit bout de papier : « Au cas où vous en auriez besoin ! ». Il me remercie, étonné. Je pense à ce petit garçon, et je prie pour qu’il soit heureux, quel que soit le choix de ses parents.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 9 mai 2022

Portrait d'Alienor Vinçotte

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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