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«Légiférer sur un « droit à mourir » est totalement décalé et inadapté»

une personne en fin de vie
© digitalskillet1/ Adobe Stock.

Le Dr Sophie Crozier est neurologue, praticien hospitalier aux Urgences cérébrovasculaires à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris. Membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), elle est l’une des rédactrices de la « réserve », signée par huit membres à la fin de l’avis sur la fin de vie, rendu public le 13 septembre. « Quel message enverrait une telle évolution législative aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées ? », interrogent les dissidents, en pointant le risque de susciter « un complexe de vivre chez des personnes souffrant déjà d’une exclusion sociale ».

« Médecin hospitalier dans un service de neurologie depuis 25 ans, je prends en charge beaucoup de personnes en situation de lourd handicap, victimes d’accidents vasculaires cérébraux (AVC). Depuis des années, je réfléchis à ces questions de fin de vie, ce qui m’a conduit à me former et à soutenir une thèse sur la réflexion éthique sur les limitations et arrêt des thérapeutiques actives dans les situations médicales complexes et graves. Or, j’observe que depuis la loi Léonetti sur la fin de vie en 2005, les principes et l’application de cette loi et de la suivante en 2016, demeurent mal connus et insuffisamment utilisés. L’urgence n’est pas de voter une nouvelle loi mais de donner les moyens humains et de formation nécessaires à un accompagnement de qualité des personnes en fin de vie.

Quel message pourrait envoyer une autorisation d’aide active à mourir aux personnes en situation de handicap, aux personnes âgées où polypathologiques, qui expriment souvent le sentiment d’être un « fardeau » pour leurs proches ou la société ? Est-ce que cela signifierait que leur vie serait inutile ou pire ne mériterait pas d’être vécue ? Les termes de « bonté » et d’« humanité » sont souvent utilisés pour justifier l’acte ultime de donner la mort. Mais cette bonté et cette humanité sont avant tout des valeurs soignantes essentielles, en particulier dans l’écoute et l’accompagnement des personnes vulnérables et/ ou en fin de vie. L’expression des souffrances est complexe et nécessite du temps. Dans le contexte actuel de crise sans précédent du système de santé, avec une pénurie majeure de personnels soignants, ce temps indispensable à l’analyse d’une demande de mort risque d’être réellement insuffisant. Je suis inquiète des dérives imaginables.

Être accompagné jusqu’au bout

Alors que l’accès aux soins devient un véritable parcours du combattant, que les soignants quittent en masse nos hôpitaux par perte de sens de leur métier, légiférer sur un « droit à mourir » est totalement décalé et inadapté, surtout quand l’on sait que plus de 96 % des soignants de soins palliatifs sont opposés à une évolution législative vers un droit à mourir.

Je suis profondément convaincue que ni la loi, ni la médecine ne peuvent répondre à tout. Cette volonté de vouloir tout maîtriser est un leurre. Bien sûr, il faut entendre, écouter et apporter des réponses aux personnes qui expriment une demande « d’en finir ». Mais comme le souligne Régis Aubry, rapporteur de cet avis du CCNE, demande ne signifie pas toujours volonté… Notre objectif devrait être de garantir à nos concitoyens qu’ils pourront être écoutés, accompagnés et soulagés jusqu’au bout. Si l’aide active à mourir devient un droit, elle deviendra une option moralement acceptable, peut-être plus facile, qui pourra être une alternative à un accompagnement plus long et demandant plus de moyens. Ce risque existe. Et plus grave encore, le risque est celui d’une moindre considération de certaines valeurs comme la solidarité, la fraternité, l’attention à l’autre, qui sont pourtant les piliers de notre société. »

Propos recueillis par Gaëlle Desgrées du Loû, ombresetlumiere.fr – 16 septembre 2022

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