Dossier

« Malgré la maladie psychique de mon mari, je n’ai jamais été tentée de fuir »

Un couple se tenant la main.
© Istock.

Caroline est mariée à Matthieu depuis trente ans. Ensemble, ils ont deux enfants et vivent depuis vingt-cinq ans un quotidien marqué par la maladie psychique de Matthieu. Caroline s’est confiée à Ombres & Lumière.

Née dans une famille plutôt aisée, j’ai eu une enfance dorée. J’avais tout juste vingt-trois ans quand j’ai épousé Matthieu. Nous avions fait de brillantes études, tout nous souriait. Mais cinq ans plus tard, Matthieu a commencé à raconter des histoires qui ne tenaient pas debout. Je me demandais si c’était lié à sa personnalité ou s’il était malade. Et puis, un travail très stressant et la naissance de notre deuxième enfant ont été trop lourds à gérer pour lui. Il a décompensé. Pris de délires, il se prenait pour Napoléon ; il s’est perdu dans la rue et a été ramené par la police chez un oncle dont il avait réussi à donner les coordonnées. Il a été immédiatement pris en main par un très bon psychiatre. Cela a été un soulagement pour moi qu’un professionnel prenne le relais. Cet épisode a eu lieu l’été ; la rentrée a été compliquée. J’avais deux petits dont je devais m’occuper, en plus de Matthieu que je conduisais tous les matins à l’hôpital de jour avant d’aller le rechercher chaque soir. Je récupérais alors un homme qui était l’ombre de lui-même, et qui n’avait rien à voir avec celui que j’avais épousé six ans auparavant.

Crises de délire

Matthieu a disjoncté trois étés de suite. Il a été licencié. Il a retrouvé un travail, mais cela s’est à nouveau soldé par un échec. J’étais femme au foyer et j’ai dû alors travailler. Cela a été salvateur pour moi. Quand je partais le matin, mon mari n’était pas levé, et lorsque je revenais le soir, je le trouvais prostré dans son fauteuil. Je lui demandais parfois d’aller chercher sa fille à l’école mais je n’étais jamais sûre qu’il y aille… Pendant dix ans, il a eu des crises de délire. Heureusement avec le temps, il a été capable de me dire quand il sentait que ça commençait à aller mal. A ces moments-là, je multipliais par deux les doses de médicament et je l’emmenais directement chez le médecin. On a réussi à s’en sortir comme ça ; Matthieu a fait des rechutes mais de moins en moins graves. Depuis 15 ans, il est stable. Il est toujours sous traitement, mais avec une dose très basse. Aujourd’hui, il fait très peu de choses. Il suit un cours deux heures par semaine à la Sorbonne ; il va voir son médecin et son psychothérapeute. Il dort 12 heures par nuit et fait la sieste chaque jour. Je ne sais pas s’il souffre de cette situation. En tout cas, il ne le manifeste pas.

J’ai toujours cru en son rétablissement

Ma première réaction a été d’être dans le combat pour mes enfants. Je ne pouvais pas baisser les bras. Plus tard, la colère est montée. Je me demandais pourquoi j’avais épousé un homme pareil. Mais jamais je n’ai été tentée de fuir car je l’aimais et il a toujours réussi à me montrer son affection. J’ai toujours cru en son rétablissement. Et je crois en la valeur du sacrement de mariage… Nous sommes trois dans la barque ; le Seigneur a toujours été à mes côtés. Quand je perds pied, je vais l’Adorer. J’ai assisté à plusieurs sessions à Paray-le-Monial et la prière de louange et l’invocation de l’Esprit Saint m’ont beaucoup soutenue. Et heureusement, aussi, j’ai été épaulée par ma famille, ma belle-famille. Maman me prenait les enfants dès que j’en avais besoin. J’ai aussi été très entourée par des vrais amis. Ils sont nombreux à être resté fidèles. Je suis très seule dans ma vie de couple mais très entourée par ailleurs. Matthieu aime jouer au bridge. Il joue bien et il n’a pas à parler donc ça lui convient. Une grande amie nous invite régulièrement pour des parties où tout le monde l’accepte avec bienveillance. Lorsque j’organise des dîners à la maison, je compte sur mes invités pour faire la conversation et je fais de bons petits plats pour qu’ils se régalent et pour compenser notre accueil particulier. Jusqu’à maintenant, j’ai toujours trouvé l’énergie pour maintenir un lien social. Cela m’aidé et cela a aussi aidé Matthieu qui aime voir du monde. J’ai toujours essayé de lui laisser faire ce qu’il pouvait. Mais il n’est pas facile d’échanger avec lui. C’est moi qui mène la discussion. Je lui pose des questions sur ce qu’il a fait dans la journée, mais il n’est pas possible d’aller en profondeur. L’absence de dialogue, la solitude sont pesantes.

Confiance et espérance

C’est lourd de tout gérer seule, de devoir être moteur pour tout, de ne pas pouvoir faire de projets. J’ai parfois l’impression que je lui insuffle la vie. J’ai suivi une psychothérapie qui m’a aidée à prendre certaines décisions. Il est difficile de se confier et de faire entrer les proches dans cette intimité et ces problèmes qu’ils ne comprennent pas. J’ai beaucoup apprécié participer aux journées des conjoints* organisées par l’OCH. Entre nous, on se donne des bonnes idées et cela m’a fait du bien d’échanger avec des personnes confrontées à d’autres handicaps que le handicap psychique. Aujourd’hui, je reconnais que la perspective de la retraite me fait un peu peur. Les relations avec mes collègues sont précieuses. J’ai perdu mes parents, et je n’aurai donc plus le soutien familial qui m’a tant aidée. Mais je constate des progrès chez Matthieu. Mon mari est doux, gentil, touchant. Il n’a jamais été dans l’agressivité. Tout cela m’aide à rester dans la confiance et l’espérance qui m’ont toujours portée.

Recueilli par Christel Quaix, ombresetlumiere – 29 octobre 021

* Journée des conjoints d’une personne malade ou handicapée le 10 décembre à Paris et le 11 décembre à Angers. OCH : 01 53 69 44 30.

A lire : le dossier « Troubles psychiques, les proches en première ligne », OL n°244.

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