« Nous demandons à être reconnus comme professionnels »

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Anne-Sophie Draussin est AESH (ex AVS) dans une école élémentaire de Marseille. Ce 3 juin, elle participe à la grève de cette profession malmenée et mal reconnue. Elle témoigne pour Ombres & Lumière.

« On n’est pas reconnus comme des professionnels, que ce soit par les enseignants ou les parents. On est des « gens » qui accompagnent…Là se situe notre principale revendication. Mais comment avoir des « professionnels » quand on recrute des personnes sans diplôme, sans formation, et souvent sans réelle envie car c’est Pôle Emploi qui recrute ; certains ne sachant pas écrire ou parler correctement français ?

J’ai commencé ce métier quand je suis venue vivre à Marseille avec ma famille. J’ai cherché du travail via Pôle Emploi. Ayant travaillé en pédopsychiatrie, ayant fait du scoutisme, étant maman et n’ayant pas peur du handicap, j’ai tout de suite repéré les annonces pour être AVS… L’idée de m’occuper d’enfants parfois rejetés, de soulager les familles, me plaisait. Mais quand j’ai voulu postuler, le conseiller Pôle Emploi m’a dit que je ne l’intéressais pas car je n’étais pas au RSA, n’avais pas moins de 25 ans… Il a fallu que j’insiste pendant près d’un an pour qu’il retienne ma candidature ! Enfin j’ai commencé à travailler en novembre 2012 comme AVS individuelle en école maternelle ; je suivais deux enfants dys, les accompagnant de classe en classe ; mais comme c’était un emploi aidé, en novembre 2014, j’ai été remerciée. Ça venait briser la relation que j’avais établie avec les enfants. Retour à la case départ…

En septembre suivant, l’Education nationale m’a rappelée pour me proposer un poste en ULIS école et j’y suis toujours. Sans formation alors, j’étais jetée dans le grand bain avec des enfants autistes, trisomiques, assez lourdement handicapés. Je ne suis pas d’enfant en particulier, j’accompagne les douze enfants de la classe. Il y a aussi deux autres AESH normalement, l’enseignante spécialisée, et une éducatrice qui vient avec six enfants d’un IME.

En 2015, j’ai eu une formation théorique sur le développement de l’enfant, les différents types de handicap… mais rien de très creusé. Il y a eu aussi un atelier d’échange de pratiques avec d’autres AESH, que j’ai apprécié. Ça représente huit séances…et depuis plus rien, tandis que nous accueillons dans l’école des pathologies de plus en plus lourdes.

Il y a quand même de vraies joies, quand l’enfant fait des progrès : un enfant que j’aide à acquérir la propreté, qui reconnaît son prénom, qui joue au ballon avec d’autres… Ce sont des petites choses mais gratifiantes.

« Faute de moyens, on fait du bricolage »

La colère monte parmi les AESH car il y a toujours plus d’enfants handicapés à l’école, et toujours pas les moyens adéquats : on fait du bricolage ; nous aurions besoin de matériels, de méthodes précises (comment contenir un enfant autiste en crise, par exemple?), mais rien n’arrive . Le gouvernement fait sa com sur l’école inclusive, mais nous avons le sentiment d’être prises pour des imbéciles. Au sein de l’équipe éducative, nous ne sommes pas consultées, alors que nous sommes au plus près des enfants ; ou alors notre parole n’a pas vraiment de poids par rapport à celle des enseignants. Il faut que nous soyons formés. Sans parler de la reconnaissance financière… Je suis payée 770 euros par mois, pour 24 heures travaillées par semaine.

Au vu des familles aussi, nous sommes inexistantes. Quand on ramène les enfants au portail, ce n’est jamais vers nous que les parents se tournent pour demander quelque chose. Il faut dire que mon contrat stipule que je n’ai le droit de parler au parent que sous couvert de l’enseignant. 

L’inclusion à tout prix est quelque chose de très compliqué. Certains enfants sont en souffrance dans l’école ordinaire. On se trouve parfois vraiment démuni. En tout cas on ne se donne pas les moyens de réussir. Après il y a des choses positives aussi ; un des enfants que j’accompagne, trisomique, est très bien accueilli dans les classes d’inclusion par exemple. Mais il faut arrêter de se mentir en disant que tout va bien et qu’on applique la loi de 2005.

Aujourd’hui, je suis en CDI, je peux me permettre de faire grève car je ne suis pas sur la sellette. Malgré tout cela, malgré notre faible rémunération, c’est un métier que j’aime, je ne suis pas prête à faire autre chose. Je rentre le soir épuisée, mais c’est d’une grande richesse humaine. »

Recueilli par Cyril Douillet – Ombresetlumiere.fr, 3 juin 2021

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