Un pas de biais

Projet de vie

une femme remplissant un dossier.
© Istock

L’autre jour, j’ai bien ri au téléphone. Je devais une nouvelle fois remplir un dossier pour la MDPH*, et pour me donner du courage, j’ai appelé une amie dont le petit garçon est atteint lui aussi d’un handicap. Je sais qu’avec elle, on s’en sort toujours par le haut.

Dans ce dossier d’une bonne vingtaine de pages (sans compter le certificat médical qui en compte encore une autre bonne vingtaine, plus les différentes pièces jointes), il y a un endroit épineux où il est demandé à la personne d’indiquer son « projet de vie ».


Avec cette maman, nous trouvons cette formule plutôt déconcertante. « Est-ce que vraiment, le projet de vie de mon enfant, c’est d’avoir un transit qui fonctionne bien ? Pas sûr… » « Et moi, est-ce que réellement mon projet de vie c’est de pouvoir aller travailler sans finir exténuée par les trajets… ? »

Qu’arriverait-il, si j’écrivais que mon projet de vie, c’est de bâtir des ponts pour rejoindre l’autre différent de moi…, de dessiner aussi bien qu’Hergé ou d’écrire comme Balzac ? Comment faire rentrer mes rêves dans les cases étroites et bassement matérielles d’un formulaire ? Le décalage entre la question posée et la réponse que je voudrais apporter est tel que cela me donne envie de rire.


Mais derrière cette première réaction, je sens aussi la colère qui monte : est-ce qu’on n’a jamais demandé à une personne valide de formuler son « projet de vie » ? Pourquoi ai-je à expliquer cela à des gens que je ne connais même pas ? Même si cette question part sûrement d’une bonne intention, je me sens infantilisée.

Les dossiers MDPH sont un sujet intarissable pour les parents d’enfants handicapés comme pour les personnes elles-mêmes. En fait, je me sens prise dans un conflit intérieur : d’un côté, je suis sincèrement reconnaissante à la société de prendre en compte mon handicap, de faire ce qu’elle peut pour m’aider à y pallier ; je sais aussi que des personnes handicapées travaillent à la MDPH et qu’elles font tout ce qu’elles peuvent pour être efficaces.

Alors, dans un esprit de solidarité, je remplis consciencieusement mon dossier.

Mais d’un autre côté, que c’est dur d’avoir à cocher ces cases, de reconnaître item après item mes limites, de devoir dire que oui, je suis capable de me laver, oui, de m’habiller, oui, de manger seule, mais que marcher m’est difficile, plus de deux kilomètres, un kilomètre, 700 mètres…

Ce qui est consolant, c’est que je ne suis pas seule à vivre cette galère. Mon amie, les parents, les personnes handicapées sont là pour en témoigner : la MDPH nous rassemble ! Elle a au moins cette vertu.

« Bon, allez, ne t’inquiète pas, me dit mon amie avec une pointe d’humour. Maintenant, avec la carte Mobilité inclusion, tu n’auras plus à renouveler ce dossier tous les cinq ans. Avec un peu de chance, elle sera valable à vie. Tu seras reconnue handicapée à vie ! Enfin ! » Mieux vaut en rire, non ?

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 28 mars 2022

*maison départementale des personnes handicapées

portrait de Cécile Gandon

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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