Psychiatrie et religion, sortir des présupposés
BF : Les assises nationales de la santé mentale et de la psychiatrie se sont tenues fin septembre, à un moment où les troubles mentaux explosent du fait de la pandémie. Que faut-il faire du fait religieux dans le soin des personnes malades psychiques ?
« Dans les pires moments de ma maladie, dans les crises les plus graves, j’ai toujours senti la présence fidèle de la Vierge Marie. Elle ne me quittait pas. Je me suis dit qu’elle était avec moi, comme avec Jésus au pied de la Croix. Mais je ne pouvais pas en parler, on pensait que ça faisait partie de ma maladie ». Il a 45 ans, Luc, qui témoigne ainsi dans un colloque sur « Maladie psychique et vie spirituelle ». Il est schizophrène. Il fait mémoire de ses premiers symptômes à 20 ans. La maladie l’a peu à peu submergé, avec ses crises d’angoisse insupportables, les hospitalisations, l’éloignement de ses amis, de sa famille… Seule la Vierge Marie est demeurée … mais hélas, on ne le croyait pas, comme si sa maladie l’empêchait de toute vie spirituelle authentique.
Aujourd’hui stabilisé, il peut dire combien cette expérience d’intimité avec Dieu, à travers Marie lui fait du bien. Se sentant aimé de façon inconditionnelle, il est arrivé à accepter sa maladie. « Je ne serai jamais en bonne santé, mais je sais que je suis aimé, la présence de Marie me le rappelle sans cesse » dit-il en conclusion, manifestement en paix.
En chacun de nous, il existe, au-delà du domaine psychique, un lieu spirituel préservé et libre, où Dieu vient faire sa demeure, qui traverse avec nous toutes les épreuves, même les pires.
BF : On peut donc être en grande souffrance psychique et avoir une vie spirituelle réelle, profonde ?
Oui, Bruno, c’est ce que Luc nous révèle. En chacun de nous, il existe, au-delà du domaine psychique, un lieu spirituel préservé et libre, où Dieu vient faire sa demeure, qui traverse avec nous toutes les épreuves, même les pires. Trop souvent, on a l’a priori que la foi est un risque pour les personnes malades psychiques : on pense immédiatement aux délires religieux. Philippe Huguelet, Professeur de psychiatrie aux hôpitaux de Genève, a particulièrement étudié le lien entre religion et santé mentale.
BF : Quelles sont ses conclusions sur ce lien ?
Contrairement aux présupposés, il a constaté que la religion a en réalité un effet largement plus protecteur qu’aggravant. Lui, le non-croyant, regrette que, du fait d’un antagonisme historique entre psychiatres et religion, le fait religieux ne soit pas du tout pris en compte dans le suivi des patients. Un point de vue que confirme Caroline Werbrouck, aumônière en hôpital psychiatrique, qui, dans un article des Presses de l’Université Saint Louis, invite -je cite : « à soutenir la part croyante saine de la personne, et à travailler les points les plus obscurs de la foi ».
Une ligne de crète à emprunter avec discernement, car le risque aggravant existe quand même. Cela suppose formation et réflexions partagées, tant du côté du soignant que de celui de l’accompagnateur spirituel. Un investissement nécessaire dans l’intérêt du patient, pour sa santé psychique, mais aussi sa santé spirituelle !
Philippe de Lachapelle sur RCF – 29 novembre 2021