Sur les lèvres

Rencontre à l’étranger entre sourds

dialogue entre deux femmes.
© Adobe Stock.

C’est l’histoire d’une rencontre fortuite. Il y a quelques semaines, j’étais en voyage en Tanzanie, où l’on entend plusieurs langues : le swahili qui est la langue principale, l’anglais, et certains dialectes du pays, selon les ethnies. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de parler anglais. Aussi, je l’avoue, j’étais un peu rouillée.

Il est connu que l’apprentissage des langues étrangères a toujours été un challenge pour les personnes malentendantes et sourdes. Il est vrai que nous mettons plus de temps à maîtriser notre langue maternelle, du fait d’avoir manqué beaucoup d’informations étant petits. Aussi, le bac en poche, j’avais un niveau d’anglais parlé assez moyen, bien qu’ayant des bonnes notes à l’écrit (et encore c’était mitigé…).

J’avais donc décidé, du haut de mes 18 ans, d’aller aux États-Unis pour m’immerger dans un environnement où on ne me parlerait qu’en anglais. Grâce à des contacts, de fil en aiguille, j’avais fini par trouver une famille américaine dont un des adolescents était également sourd. Après un mois et demi chez eux, je me mêlais sans problème aux conversations, heureuse d’avoir du LPC* en anglais !

Revenons à ce mois-ci. J’étais donc là dans un hôtel, quelque part en Tanzanie, quand j’aperçus une femme portant un implant cochléaire similaire au mien ! « Regarde, elle est comme moi », fis-je remarquer à celui qui est désormais mon mari. Mais je n’osais aller la voir pour discuter avec elle. Je saisis l’occasion à un moment donné, et lui lançai : « Je suis désolée de vous déranger mais j’ai vu votre implant et il se trouve que j’ai le même ! » – tout cela en anglais, l’air malicieux. J’aperçus la surprise dans son regard. Y étais-je allé un peu trop franco ?

Elle était allemande et s’excusait de parler un anglais approximatif (comme le mien). Malgré tout, on se comprenait très bien – je la comprenais même mieux que le couple d’anglais rencontré plus tôt dans la journée ! Ce qui est drôle, c’est que bien qu’on ne parle pas la même langue, je reconnaissais l’accent habituel que l’on entend chez certaines personnes malentendantes ou sourdes. Je reconnaissais aussi certains codes dans sa manière de parler, très expressive.

La rencontre a été courte ; nous ne nous sommes pas revues. Mais tout semblait si familier dans cette conversation… comme si la surdité faisait de nous une grande famille.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 21 novembre 2022

*langage parlé complété.

Portrait d'Alienor Vinçotte

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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